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Famille du Chevalier Goybet

Famille Theil et journal de l'officier de marine Alfred Theil : conquète de cochinchine 1858

FAMILLE THEIL
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Il s’agit de notes écrites par mon Arrière Grand-mère , madame Mariano Goybet née Marguerite Lespieau sur nos ancêtres Theil en 1926 . Elle est la fille de Clémence Theil.






MES ARRIERE GRAND PARENTS THEIL






« Mon arrière grand père Theil devait appartenir à une bonne famille de la Charente ou de la Gironde : une miniature le représente vêtu comme un grand Bourgeois de l’époque . Il entra à l’école navale , alors à Angoulème ; lorsque seuls, les jeunes gens ‘bien nés’ s’y présentaient .


Etant allé à St Domingue il y connut une jeune veuve de 18 ans – j’ignore le nom du premier mari, sans doute l’un des propriétaires de l’île . Elle appartenait à la famille Petit qui possédait en fait un fort beau domaine travaillé par 200 Esclaves . Lors de la révolte des nègres, ceux-ci sauvèrent les maîtres qui étaient bons pour eux ….. La propriété était importante puisque lorsque le gouvernement Français paya des indemnités aux colons , soit le 60 % de la valeur, mon Arriêre grand père eut 1500 Frs et chacun de ses deux enfants 1200 , rentes qui auraient du être réversibles sur les enfants de mon grand père…. Si les démarches néanmoins eussent été faites.



Mes arrière grand parents eurent là bas une fille nommée Aspasie que j’ai connue étant enfant. Elle ne s’était jamais mariée par amour filial,…malgré les propositions honorables qui lui avaient été faites . Ma tante Aspasie n’avait pas l’extrême beauté de sa mère , mais elle était fort intelligente , surtout en politique , fort pieuse et possédait parfois le don de seconde vue




Mes arrière grands parents naquirent en Françe . Mon aïeul quitta la marine et devint chef d’instruction à Langon Gironde. C’est là que le 13 Avril 1808 à 7 heures du matin , naquit mon gr and père Jean François Napoléon .



Pourquoi ce prénom ? Voici .

Napoléon 1er traversait Langon , se rendant sans doute en Espagne , entendant des cris d’une nature particulière , il en demanda le pourquoi .

‘’Sire , une des dames de la ville dans un état intéressant , émue de vous avoir vu , met son enfant au monde ‘’

‘’ Eh bien dit l’ Empereur , montez lui dire que je serai le parrain ! ‘’



Mon arrière grand père devait être quelqu’un J’ai eu , entre les mains, les conseils manuscrits qu’il avait écrit pour son fils : chef d’œuvre de morale , de style impeccable et sobre de calligraphie


Mon aïeule était fort belle . Elle vécut 92 ans . Mon père se rappelait l’avoir vue souvent faire la sieste avec un foulard sur la tête sans avoir perdu de sa dignité, de sa distinction , de ses beaux traits . L’un de ses plaisirs consistait à se faire suivre dans la rue de Paris par de jeunes godelureaux et , arrivée sous les lampadaires , à se retourner brusquement , leur montrant que, chez certaines femmes , une tournure ravissante peut survivre à un vieux visage .



Mon aïeule avait été gâtée par la facilité des colonies , cependant elle à nourri ses enfants On raconte que tandis qu’elle allaitait la petite Aspasie , s’étant endormie dans un hamac, elle sentit soudain à un sein un contact glaçé , c’était un serpent , descendant je suppose de celui qui nous a fait tant de mal au Paradis terrestre , qui buvait son lait ! Elle eut le courage de ne pas remuer jusqu’à ce que la bête repue se soit laissée choir et la fit alors écraser
…………. Dommage que la première Eve n’ait pas eu le même sang froid …..et des esclaves !









MES GRANDS PARENTS THEIL







Mon grand père commença ses études à Langon, chez son père ? c’est probable . Je sais qu’il fut toujours couvert de prix , qu’il en eut souvent au concours général et qu’a 21 ans , il était surveillant à l’école normale supérieure . Il se maria , à 23 ans avec mademoiselle Sophie Fougères de Limoges . Il y faisait ses débuts comme professeur de lettres . Ma grand-mère avait pour mère une demoiselle Martial Ardent Frêres : C’est la raison sociale d’une grande maison d édition établie à Limoges depuis l’invention de l’imprimerie


Ma grand-mère eut 10 enfants dont 6 devinrent grands . C’était une femme admirable , non seulement comme maîtresse de maison et mère de famille , mais fort instruite . Elle parlait le latin et apprit le grec afin de corriger les épreuves d’une grammaire que mon grand père faisait édicter dans cette langue . De plus adroite au possible, sachant tout faire , le jeune ménage alla bientôt s’établir à Nancy où mon grand père enseignait au lycée . Là étaient nés Léontine , Alfred et Clémence , ma mère ( Les enfants nés à Limoges n’avaient pas vécu ).



En tout cas , en 1842 ou 43 mon grand père fut nommé à Henri IV à Paris , Mr Villemin Ministre de l’instruction publique , ne voulait pas qu’un homme de cette valeur reste en Province Il est certain que lorsque que Mirecourt , critique littéraire des plus mordant, analysait les oeuvres de ses contemporains , seules, celles de mon grand père , déjà nombreuses, furent épargnées !


Mes grands parents se logèrent rue d’Enfer en face le Luxembourg , puis dans la même rue , une autre maison , dont l’une des parties donnait sur le Luxembourg Cette seconde habitation disparut quand on ouvrit la rue Souflot Cousin le philosophe , Lefebrise de Tourey le mathématicien en étaient les autre locataires .


A Henri IV mon grand père eut comme élèves de seconde les fils de Louis Philippe , le Prince de Joinville Peut être, le duc d’Aumale sûrement

Lorsque ce dernier commandait le 7 ème corps d’armée à Briançon , mon père étant Colonel du 109 ème à Chaumond en 1877 , il vint inspecter le régiment Je me souviens parfaitement de la visite qu’il fit à ma mère Lorsqu’elle lui dit qui elle était

« Comment s’écria t’il, vous êtes la fille de mon bon ami Theil . »

« Oui Monseigneur , nous appartenons à la 1ere noblesse, celle de l’intelligence ! . »

« Ce n’est pas moi qui vous contredirai ! »

Le duc me prit alors sur ses genoux et me caressa …..Je puis donc dire sinon, que j’ai été élevée sur les genoux des princes , au moins que j’y ai passé.



En 1848, pourtant, mon grand père étant Commandant de la garde nationale prit part à la révolution : une gravure du temps le représente tenant sa main sur le cœur de Lamartine qui discourre à l’hôtel de ville pour prouver au peuple que celui çi dit la vérité ! …. Naïveté des images de ce temps !



Il en résulte que mon grand père fut mis à pied pendant 3 mois avec d’autres notabilités et enfermé comme elles à la conciergerie . C’est alors qu’apparaît plus que jamais la fermeté et le bon sens de ma grand-mère. Trois mois sans traîtement , six enfants à nourrir … Il faut aviser. Aussitôt on prend du travail de couture dans un grand magasin . Ma mère seule qui avait 9 ans , gagnait 24 sous par jour …et 24 sous , à cette époque c’était quelque chose .



Mon grand père travailla longtemps pour Firmin Didot . Il composa des grammaires latines et grecques , la première traduction de Silvio Pellico . Il savait couramment 7 langues . c’était réellement un grand poète . C’est surtout le dictionnaire Latin Français qui est le summum de ses œuvres .Il avait de plus , la répartie la plus vive et même gauloise , vu l’héritage qu’il m’a légué et que j’ai parfois de la peine à réprimer



En 1852 Napoléon III trouve qu’une belle intelligence unie à un tel savoir ne pouvait rester sans emploi Mon grand père fut nommé professeur à St Louis ou il demeura jusqu'à sa retraite . Il se retira à Provins dans une jolie propriété où il mourut à 70 ans le 13 Aout 1876.au grand désespoir de ma mère qui l’aimait profondément .



Chose curieuse , notre oncle le General Charles Goybet, inspecteur General de la Cavalerie avait été en garnison à Horns et connaissait mon grand-père. Il ne se doutait pas que la petite fille de ce beau vieillard aux cheveux blancs frisés, de belle tournure , épouserait un jour son neveu à lui !

Mon grand père à eu les honneurs du Larousse qui le reconnaît comme un grand philologue .
Croyant mais peu pratiquant, il le devint sérieusement passé 55 ans .

Ma grand-mère elle, était morte le 10 Février 1864 à 48 ans . Elle avait été frappée terriblement par la mort de son fils Alfred dont je vais parler.









LES ENFANTS DE MES GRANDS PARENTS THEIL









Des 10 enfants qu’elle avait eu , elle n’avait gardé que Léontine , Alfred , Clémence
Et Mathilde .




- Léontine avait épousé à 18 Ans Monsieur Jules Bonnet de Commeras chef d’institution.
C’était une jolie femme très musicienne.




- Mathilde décédée à 23 ans était une artiste avec une voix de mezzo magnifique.





- Alfred après les premières études entra à Louis Legrand . C’était un grand jeune homme , très sérieux , très bon, très travailleur et qui semble avoir été le confident de sa mère pour laquelle il avait un culte . Il dessinait comme Gustave Doré , parlait l’Anglais comme le Français . On le prenait souvent pour un Anglais Fort distingué avec cela . On pensait pour lui à polytechnique lorsque à 16 Ans s’étant présenté à l’école Navale à Brest, il fut reçu 1er .
Il n’y resta qu’un an . C’est la promotion qui suivit en Russie les cours de 2eme année et dans laquelle étaient l’amiral Gervais et Mr Ernest Tabareau , neveu de ma vielle grande tante . Il fit quelques mois de service à Brest .


A 20ans il partit pour l’expédition de Cochinchine , il fut très brillant à l’affaire
Hué et porté pour la croix . Il prit la fièvre mais ne voulut pas écouter le médecin chef Mr de Commeras , parent de son oncle .. Il s’alita et fut vite considéré comme perdu . Il disait ‘’ si je savais que je sois décoré , je mourrai tranquille , quelle consolation pour ma pauvre mêre .

Hélas, lui-même l’ignorait , du moins en ce monde , car il mourut le 23 juillet 1860 ….
Le lendemain il était porté au cimetière de Tourane avec cette croix si méritée , arrivée le matin posée sur son cercueil.



L’amiral Mario alors enseigne encore comme lui , tenait un des coins du drapeau tricolore…. Plus tard, j’avais 8 ans l’amiral me raconta ce qui suit.

Ma tante Aspasie vivait à Paris avec sa vielle mère . Un an avant la mort d’Alfred , elle prit le deuil . On s’en étonna . Elle garda le silence envers tous , sauf Mario.

Elle lui dit avoir eu une sorte de vision de la baie de Tourane (qu’elle décrivit en détail , sans jamais en avoir entendu parler ) y plaça l’enterrement d’Alfred , sans oublier la croix sur le cercueil , ajouta que lui, Mario, y serait présent

Le vieil Amiral était encore bouleversé de la chose en me le narrant 20 ans Après .

Ce don de seconde vue de ma tante était souvent en éveil même pour des circonstances moindres.


On avait vu à l’officiel la promotion d’Alfred dans la légion d’honneur . Ma grand-mère justement fière fit une visite pour l’annoncer . Elle arrive chez sa fille de Commeras avec mon grand père , ma tante Mathilde , mon père, ma mère qui nourrissait mon frère ainé Frédéric ; on voulait avec ménagements lui dire l’affreuse nouvelle. Mon cousin Gabriel agé de 4 ans , s’élance au devant de ma grand mère en disant :

« Tu ne sais pas, bonne maman , l’oncle Alfred est mort ! »

Cette pauvre mère regarde autour d’elle les visages consternés et tombe raide évanouie . Le coup fut trop dur pour une femme à l’age critique , brusquement atteinte . Elle ne s’en remit plus , fut désespérée et n’eut plus une minute de joie.

……….













MA MERE CLEMENCE THEIL







Il est temps de parler de ma mère . C’était la 7eme enfant de mes grands parents , la troisième arrivée à l’adolescence.

De son enfance, je sais qu’elle travaillait en classe avec trop d’ardeur et qu’elle eut une fièvre cérébrale

Mes grands parents avaient du mérite , des antécédents parfaits mais pas de fortune. Il avait fallu que ma mère entre dans un grand magasin de Paris, puis de Bordeaux ou l’on faisait les trousseaux des plus hautes familles. Cela entre 15 et 17 ans.

Ensuite elle vécut entre ses sœurs et son frère sous l’égide de sa mère si remarquable .
A 18 ans , Clémence était fort jolie avec ses yeux bruns , ses cheveux chatain cendré , son joli teint, ses dents étincelantes. Très bonne musicienne avec cela.




Mon père était l’ami de mon oncle Jules Bonnet de Comméras . Ils avaient travaillé ensemble à Grenoble pour St Cyr ou mon oncle n’avait pas été reçu.


Mon père était capitaine à 25 Ans et décoré . Il avait obtenu cette récompense pour avoir monté l’un des premiers à la tour Malakof en Crimée . Il avait déjà combattu en Kabylie .

Un soir , il se trouva à diner chez mon oncle et ma tante à Paris . Ma mère était présente .
Mon père ressentit le véritable coup de foudre . Comme il était en permission au Havre et à Rouen , il venait à Paris et voyait ma mère.

Ce n’est que 18 mois après , pourtant qu’ils s’épousèrent . 7 Aout 1858 à St Jacques du Haut Pas. Voici comment .





Il n’y avait de fortune d’aucun coté , donc la dot réglementaire manquait . Il fallait 250000 Frs ( Que serait aujourd’hui que cette somme ? Juste de quoi meubler la maison !)

Ma mère avait 17 ans . Mon grand père avait connu chez la princesse Mathilde , Henri de la Roche jaquelin le sénateur. Ils se voyaient souvent et ma famille était reçue à diner chez lui


Un jour ma mère eut l’idée de demander à l’empereur Napoléon III de la doter , comme il le faisait parfois Elle se confia à Monsieur De La Rochejaquelin qui voulut d’abord connaître mon père ….. L’entrevue lui donna satisfaction . Ma mère demanda une audience à l’empereur .


Au bout de quelques temps , ne recevant pas de réponse , elle s’en alla trouver le Duc de Bassano, grand Chambellan . Elle se trouva aux Tuileries en face d’un concierge qui lui demanda sa lettre d’introduction . Elle déclara l’avoir oubliée… Cependant elle monte et dit à l’huissier : « Annoncez que c’est la jeune fille recommandée par Monsieur de la Rochejaquelin .



Le duc de Barrano la reçoit bien et lui conseille d’écrire à l’Empereur.
Ma mère rentre à la maison et, en un rien de temps , sans brouillon, sans rature, écrit la lettre : Tout cela bien entendu à l’insu de ses parents !


Peu de jours après , Mocquart, Notaire de l’Empereur , que l’on assurait être son demi-frêre au même titre que le duc de Morny , assigna à ma mère un rendez-vous à son étude. Sa lettre fut remise à ma mère chez sa sœur où l’on jouait aux petits jeux . Ma mère prétexte de la fatigue, rentre, refait son chapeau avec une garniture fraiche. Le lendemain , elle se rend à l’étude de Mocquart et apprend que l’Empereur accorde la Dot réglementaire Grande joie !

Elle revient au logis et apprend la chose à son père Celui-ci , lui propose d’écrire sa lettre de remerciement, mais elle l’écrit seule . …. Elle la sait encore par cœur à 87 ans !



L’Empereur avait été aussi influençé par cette circonstance :

Interné au fort de Ham en 1840-46 , il avait connu mon grand père Lespieau , dont le régiment de Pontonnier , où il était médecin , tenait garnison dans la région .
Mon grand père allait le voir, le soignait, causait avec lui.

En recevant la supplique de ma mère, l’Empereur demanda si ce jeune capitaine ‘ était le fils du docteur Lespieau ‘ et sur réponse affirmative, il accorda la dot .


Aussi , plus tard , en 1873, après la défaite et l’exil , lorsque Napoleon III mourut , ma mère, alors femme de Colonel , porta son deuil en noir et bouquet de violettes, sans se soucier que ce geste si naturel, de reconnaissance , nuisait à l’avancement de mon père . Elle n’hésita pas non plus à admonester vertement ‘’ l’homme de la rue‘’ lorsqu’il trouvait mauvais que l’on portat le deuil de Badinguet.




Mon père qui avait servi avec ou sous les princes d’Orléans , était Orléaniste et moi j’ai toujours trouvé que la république était le gouvernement par excellence (n’étaient quelques républicains !). Ce qui prouve que l’on peut être une famille unie sans être du même avis sur tous les points. . »












 

CONQUETE DE COCHINCHINE : PRISE DE TOURANE AVEC ALFERD THEIL 1858
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Alfred est le frère de Clémence Theil notre ançètre, mère de marguerite Lespieau femme de Mariano.

Nous reproduisons ici de larges extraits de son journal écrit en 1858 mais comme ce document est volumineux nous ne le reproduirons pas dans son intégralité . Toutefois les extraits choisis et la chronologie respectée sont destinés à donner une cohérence à l’ensemble .

Auparavant nous allons camper le décor par quelques informations sur l’Empire d’Annam vers lequel vogue Alfred notre Aspirant de 1ere classe à bord de la Saone en 1858.





L’EMPIRE D’ANNAM







Ce n'est qu'en 1948 que Vietnam s'est réellement substitué à Annam. À l'origine, les Chinois donnèrent, en 679, le nom d'Annam au royaume vietnamien du Nam Viêt (Ann Nan, « le Sud pacifié ») que les Français utilisèrent pour désigner à la fois le Centre Viêt Nam et l'Empire précolonial annamite, qui comprenait la majorité du Viêt Nam actuel.


Constituée officiellement sous la souveraineté française en 1905, l'Indochine regroupait la colonie de Cochinchine autour du delta du Mékong et quatre protectorats : l'Annam au centre, le Tonkin au nord, le Cambodge et le Laos





Ci- dessous article du Grand Dictionnaire Universel du XIXe Siècle de Pierre Larousse





COCHINCHINE ou EMPIRE D'ANNAM, État de l'Asie, occupant la partie orientale de la presqu'île de l'IndoChine, ou péninsule tians gangétique. Borné au N. par la Chine, à l'O. par le royaume de Siam, à l'E. et au S. par la mer de Chine, il s'étend entre les 0 et 22e degrés de latitude N., et les 100 et 107e de longitude E. Capitale Hué ; superficie évaluée à environ 530,000 kilomètres carrés ; le chiffre de la population est incertain ; quelques auteurs l'ont porté à 5 millions, d'autres à 15, et enfin quelques-uns à 20 millions. Le second chiffre semble le plus probable.


Cet Etat comprend trois grandes divisions politiques : le Tonkin au N., le Cambodge au centre et la Cochinchine proprement dite au S. Entre le Tonkin et le Cambodge s'étend une vaste région désignée sous le nom de royaume de Laos, tributaire à la fois de la Cochinchine et du royaume de Siam. La vaste péninsule que nos géographes européens ont désignée sous le nom d'IndoChine a été peu visitée par les voyageurs ; mais, depuis deux siècles et plus, c'est une terre familière à nos missionnaires, et, jusqu'à ces derniers temps, le peu que nous savions du Tonkin, de la Cochinchine, du royaume de Siam et des contrées intérieures, c'était à eux que nous le devions bien plus qu'aux relations politiques. Cependant notre dernière expédition de Cochinchine a été suivie de quelques études géographiques sérieuses sur cette contrée, et, bien que nous ne possédions encore que des notes insuffisantes sur l'intérieur des terres et les tribus incivilisées des montagnes, nous résumons dans ce court article les indications fournies par les missionnaires et les dernières publications sur la Cochinchine.





ASPECT GENERAL PRODUCTIONS







Une chaîne de montagnes, se détachant des hauteurs du Tibet, court du nord au sud parallèlement à la mer de Chine. Plusieurs fleuves arrosent les différentes régions du pays. Le plus vaste est le MéKong , qui, prenant sa source dans la province chinoise de Yun-Nan, traverse le Cambodge et la basse Cochinchine et se jette dans la mer par plusieurs embouchures ; viennent ensuite le Sang-Koi, qui arrose le Tonkin et se jette dans le golfe de même nom ; le Takniao, qui baigne la basse Cochinchine; enfin plusieurs cours d'eau qui, descendant de la chaîne centrale, versent leur tribut dans le golfe de Tonkin. C'est devant une des embouchures du MéKong que, vers 1561, Camoëns, revenant de Macao à Goa, fit naufrage et sauva le manuscrit de son poème des Lusiades, en le soutenant d'une main au-dessus des eaux pendant que de l'autre il nageait vers la rive du MéKong.
Le pays est fertile, surtout dans les provinces de la basse Cochinchine ; le riz, le mûrier, la canne à sucre y croissent en abondance ; on y trouve en outre de vastes forêts, dont les principales essences fournissent des bois de construction et des bois précieux, tels qu'ébène, aloès, etc. Ces forêts, à la végétation gigantesque, sont habitées par un monde d'animaux de tout genre, tigres, singes, insectes bourdonnants, serpents, oiseaux, aux ailes étincelantes, etc. Il est difficile à un Européen de se faire une idée de ces forêts géantes qui dépassent peut-être en exubérance les jungles de l'Inde. Aussi les indigènes eux-mêmes sont-ils frappés par l'étrangeté de ce spectacle qu'ils ont cependant perpétuellement sous les yeux et avec lequel ils devraient être familiarisés. Les poésies populaires de la Cochinchine, en effet, sont toujours empreintes d'un profond sentiment d'observation en face de cette nature féconde et implacable. Les quelques passages suivants, empruntés à un célèbre poème annamite intitulé Que-Van-Tien, et récemment traduit par M. Aubaret dans le Journal asiatique, le feront aisément voir :
« Le bruit de l'abeille l'ennuie, le chant de la cigale le fatigue... Traversons ces traces de lièvres, ces sentiers de chiens ; l'oiseau chante, le singe crie, de tous côtés coulent les sources... En gravissant la forêt, il n'est pas bon de mépriser les arbres (il faut veiller sur soi, faire attention au tigre aux aguets), etc. ».
Pour donner à nos lecteurs une idée plus nette de ce qu'éprouvé un Européen à la vue des forêts de la Cochinchine, nous citerons cet extrait d'une lettre écrite dans la dernière expédition par un de nos officiers, envoyé du côté du poste de Tay-Ninh :
« Le pays où je me trouve est superbe. Les arbres y atteignent une hauteur dont nos Européens ne pourraient se faire une idée qu'en les voyant. Les grands chênes de nos forêts, les larges platanes de nos promenades sont des arbustes auprès des végétations magnifiques que j'ai devant moi... Nous avons suivi pendant deux jours une route ouverte à travers une forêt si épaisse que nous ne voyions le ciel qu'à travers quelques trouées. Nous passions sous une voûte entre deux murailles de feuillage. L'herbe qui pousse dans cette avenue, ne voyant jamais le soleil, est d'un vert extraordinaire. Les lianes et les herbes parasites empêchent de pénétrer dans la forêt. L'humidité y est extrême. D'un repos à l'autre, les fusils des soldats se rouillaient. Il s'exhale une odeur de feuilles mortes intolérable, combinée avec une forte senteur de musc produite par l'immense quantité de reptiles qui fourmillent sur le sol humide. Des Européens ne vivraient pas huit jours dans cette atmosphère. Les indigènes eux-mêmes y sont atteints de la fièvre. ».

Malgré la fertilité du sol et d'abondantes récoltes de soie qui font la principale richesse du pays, la population est généralement pauvre et misérable. Le commerce avec l'étranger est presque nul, et l'industrie très peu avancée. On y fabrique quelques étoffes de soie, de coton, et des objets de laque. La population a une grande affinité avec la race chinoise : ce sont à peu près les mêmes traits, les mêmes mœurs, les mêmes coutumes, la même langue écrite, avec une prononciation différente. La majorité professe le bouddhisme ; mais le dogme de Confucius est répandu dans les classes élevées. Le christianisme, prêché en Cochinchine par les jésuites au XVIIe siècle, y compte environ 500,000 adeptes dirigés par des prêtres européens, dont la plupart sont Français.






GOUVERNEMENT APERCU HISTORIQUE







Le gouvernement est monarchique et absolu ; la population est divisée en deux classes : la noblesse, ou corps des mandarins, et le peuple. Au début de chaque règne, le nouvel empereur envoie une ambassade à Pékin ; c'est un hommage traditionnel qu'il rend plutôt qu'une investiture officielle qu'il sollicite. Bien que, dans le prétentieux langage de la cour de Pékin, l'empire d'Annam continue à figurer parmi les États tributaires du Céleste Empire, le lien de vasselage s'est peu à peu détendu, et aujourd'hui les destinées de la Cochinchine sont indépendantes de celles de la Chine. Toutefois, la similitude de leurs institutions, de leurs croyances religieuses et de leurs mœurs a maintenu entre les deux pays une sorte de solidarité politique. Là comme en Chine le gouvernement, fondé sur le despotisme, a vu s'user peu à peu ses principaux ressorts, et il semble marcher à grands pas vers sa dissolution. Si l'on en juge par les récits que nous ont laissés les missionnaires qui ont pénétré en Cochinchine au XVIIe siècle, ce pays présentait alors les apparences de la prospérité et un certain air de grandeur. Toutes ces régions orientales ont eu leurs jours de splendeur et la civilisation les a visitées ; mais toute civilisation basée sur le despotisme et le privilège est précaire et périssable ; le progrès seul, fondé sur l'idée de justice d'où découle l'égalité sociale, peut soutenir les peuples dans la voie de la civilisation et du bien-être. C'est pourquoi, en jugeant ces Orientaux tels qu'ils nous apparaissent aujourd'hui, dépouillés du prestige de l'éloignement et maîtrisés si facilement par la conquête européenne, on ne découvre plus chez eux que des symptômes de décrépitude.


D'après les annales cochinchinoises, qui remontent à une époque antérieure à l'ère chrétienne, tantôt la Cochinchine a été directement soumise à l'empire chinois, tantôt elle s'en est séparée ; elle a été fréquemment en guerre avec les royaumes de Siam, de Cambodge et de Tonkin ; elle a eu ses périodes de révolution et d'insurrection. Dans la seconde moitié du XIIIe siècle, Marco Polo visita quelques provinces de la Cochinchine ; mais sa relation, fort incomplète, ne projette qu'une lueur très incertaine sur l'état politique de l'empire d'Annam. C'est seulement à partir de l'époque où les Portugais ont pénétré en Cochinchine que l'on commence à recueillir quelques notions moins inexactes sur cette contrée, qui doit son nom à la ressemblance que lui trouvaient les Portugais avec le pays de Cochin, sur la côte de Malabar, et à sa proximité ou mieux à sa dépendance apparente ou réelle de la Chine. Les missionnaires français complétèrent les premières communications des Portugais, qui remontent à la fin du XVIe siècle. Néanmoins, l'Europe n'a eu de rapports directs avec l'empire d Annam que dans la seconde partie du XVIIIe siècle, grâce à l'influence que l'évêque d'Adran avait acquise à la cour de l'empereur Gya-long, influence qu'il essaya d'employer au profit de la politique française. Gya-long avait eu à lutter, dès le début de son règne, contre une insurrection formidable qui l'avait un moment dépossédé de sa couronne. D'après les conseils de l'évêque d'Adran (Mgr Pigneaux), il résolut de faire appel à l'appui et à la protection de la France, et il envoya à cet effet, une ambassade à Louis XVI. Cette ambassade, qu'accompagnait l'évêque d'Adran, fut accueillie favorablement à la cour de Versailles. Il y avait en effet, pour la France, indépendamment de l'intérêt catholique, un grand intérêt politique à nouer des relations avec les contrées de l'extrême Orient, où elle se voyait devancée par l'Angleterre, l'Espagne et les Pays-Bas. Un traité fut, en conséquence, signé, le 18 novembre 1787 , à Versailles, entre M. de Montmorin, alors ministre des affaires étrangères, et l'évêque d'Adran, représentant Gya-long, traité en vertu duquel l'empereur de Cochinchine cédait à la France, en toute propriété , le port de Tourane et l'île de Poulo-Condor, sous la condition que le roi de France enverrait sans retard une escadre et un corps de troupes pour aider Gya-long à reconquérir ses États. Les ordres furent immédiatement donnés au gouverneur des établissements français de l'Inde pour l'exécution de cette convention ; mais les événements révolutionnaires qui ne tardèrent pas à surgir en France et en Europe vinrent interrompre les préparatifs de l'expédition projetée. Cependant, quelques officiers et un petit nombre de volontaires recrutés par l'évêque d'Adran se rendirent en Cochinchine, où ils disciplinèrent à l'européenne la petite armée de Gya-long, qui parvint, avec leur aide, à soumettre les rebelles. L'empereur demeura reconnaissant du service qui lui avait été rendu ; l'évêque d'Adran, et les officiers français, élevés à la dignité de mandarins cochinchinois, jouirent à sa cour de la plus haute faveur.


Jusqu'à la fin de son règne, arrivée en 1820, Gya-long protégea les Européens et favorisa la propagande catholique. Il n'en fut pas de même sous ses successeurs Ming-mang (1820-1841), Thien-tri (1841-1847) et Tu-duc , l'empereur actuel. Les Européens furent chassés, et les chrétiens se virent en butte aux plus cruelles persécutions, inspirées non point par le fanatisme religieux, mais, comme en Chine, par un sentiment purement politique. Ming-mang craignait que le catholicisme n'amenât à sa suite la conquête européenne, et il entendait fermer absolument aux étrangers l'accès de son empire.


À plusieurs reprises, de 1820 à 1855, la France et l'Angleterre envoyèrent des navires de guerre dans la baie de Tourane, soit pour ouvrir à l'amiable des négociations commerciales, soit pour réclamer contre les mauvais traitements infligés aux missionnaires et aux chrétiens.


Toutes les tentatives demeurèrent impuissantes. Enfermé dans Hué, sa capitale, l'empereur se sentait hors de la portée des vengeances européennes, et ne s'inquiétait point des boulets qui pouvaient détruire la bourgade de Tourane. Cependant une pareille situation ne pouvait se prolonger. Les martyrs se multipliaient ; plusieurs prêtres français et un évêque espagnol, Mgr Diaz, ayant été mis à mort, les gouvernements de France et d'Espagne se concertèrent pour l'envoi d'un corps d'armée en Cochinchine. En 1858, notre pavillon parut devant Tourane, a une quinzaine de lieues de Hué. La ville fut prise et ses défenses détruites ; mais les forces dont le chef de notre escadre disposait (c'était l'amiral Rigault de Genouilly) ne suffisaient pas pour avancer plus loin dans cette direction par l'intérieur des terres. Un autre parti, qui parut à là fois plus sûr et plus efficace, fut adopté. Notre escadre se porta au sud en longeant la côte, et vint prendre position devant les bouches du Me-Kong. Saigon, capitale de la basse Cochinchine, est assise sur un des bras du fleuve, à quelques lieues de la mer. Des défenses formidables en couvraient les approches ; elles furent emportées d'un seul élan, quoique bravement défendues, et, le 17 février 1859, les couleurs françaises, flottant sur la ville, annonçaient que la seconde cité de l'empire annamite avait changé de maître. Cet échec, cependant, ne suffit pas pour amener l'empereur Tu-duc à composition ; fortement retranché dans sa capitale, protégé par des troupes nombreuses échelonnées dans le pays, et, d'ailleurs, excité à la résistance par l'empereur de la Chine, il attendait que les 600 ou 700 hommes que nous avions a Saigon, décimés par les chaleurs extrêmes d un climat nouveau pour nous, se vissent contraints d'abandonner leur conquête, comme ils nous avaient vus abandonner Tourane. Ce calcul fut déçu. Deux années d'occupation n'avaient pas lassé nos braves soldats, lorsque le traité de Tien-tsin (15 octobre 1860), en réglant nos griefs du côté de la Chine, vint nous rendre la pleine disposition de nos forces dans les mers orientales. Un renfort important fut immédiatement dirigé sur la Cochinchine. Nous pûmes alors reprendre une vigoureuse offensive. L'effet ne s'en fit pas longtemps attendre ; en 1861, la prise de Mytho et de Bien-Hoa, sur le continent, l'occupation des îles Poulo-Condor ; en 1862, la prise de Vinh-long, déterminèrent l'ennemi à demander la paix, laquelle fut conclue, le 5 juin 1862, à Saigon, entre les plénipotentiaires annamites et l'amiral Bonard, aux conditions suivantes : L'empereur Tu-duc payera 24 millions de francs, dont 21 à la France et 3 à l'Espagne. Cette indemnité devra être acquittée dans l'espace de dix ans. L'empereur d'Annam ouvrira à notre commerce trois ports dans le Tonkin. Les missionnaires français et espagnols et les catholiques habitant l'empire seront traités et respectés à l'égal des autres sujets de l'empereur. Tu-duc s'engage à ne céder aucune partie de son territoire sans y être autorisé par la France. La France conservera trois provinces sur les quatre qu'elle a conquises. La province de Viuh-long sera rendue au roi Tu-duc dès que les autres provinces seront complètement pacifiées et organisées. Les trois provinces de l'ouest de la basse Cochinchine seront gouvernées par un vice-roi, qui ne pourra y recevoir aucune troupe sans l'assentiment du gouvernement français. Les trois provinces que garde la France sont celles de Saigon, Bien-Hoa et Mytho. Ce traité a fait passer sous notre souveraineté un territoire qui peut équivaloir en étendue à cinq ou six de nos départements, et nous a donné un million de sujets asiatiques. Depuis cette époque, notre colonie a pris de nouvelles extensions et semble marcher vers un grand avenir de prospérité.







LA SITUATION DE NOTRE COLONIE ( 1867)





Les détails suivants, qui font connaître exactement la situation de notre colonie cochinchinoise, sont empruntés au Livre bleu de 1867. Pour couper court aux insurrections qui troublaient nos frontières et les États de notre allié, le roi de Cambodge, les trois provinces de Vinh-long, Choudoc et Hatien ont été annexées à notre colonie, et cette annexion, appelée par le vœu des populations laborieuses opprimées par les mandarins et troublées par la piraterie, a eu lieu sans effusion de sang. Outre les avantages résultant pour nous d'une occupation qui nous procure 477 000 sujets nouveaux, une augmentation de 123 000 hectares de terres cultivées, la possession exclusive des grands fleuves et des canaux importants qui forment les principales artères commerciales de la basse Cochinchine, enfin un supplément de revenus de 3 millions, cet agrandissement nous donne de sérieuses garanties de sécurité. Il sera, de plus, possible de faire verser par la colonie au Trésor de l'État un contingent de 1 million de francs en 1868. La récolte du riz en 1866-1867 a été très abondante. Les exportations de cette denrée à la Réunion, en Europe, au Japon et en Amérique, se sont élevées a 113 725 tonnes. On signale un développement intéressant des autres cultures, telles que la canne à sucre, le tabac, le bétel et les arachides. L'étendue des terres cultivées est évaluée à 157 397 hectares. Il a été vendu à Saigon 9831 mètres de terrain urbain, et 2199 hectares de terrains ruraux ; 48 hectares ont été concédés gratuitement. Ou sait que le port de Saigon jouit de la liberté commerciale la plus large ; les navires n'ont qu'à y payer un droit d'ancrage, commun à tous les pavillons. Aussi le mouvement d'entrée et de sortie prend-il un développement croissant. On évalue à 887 le nombre des navires qui y ont participé du 1er juillet 1866 au 30 juin 1867, et à 55 millions la valeur de la cargaison, à l'importation et à l'exportation. D'autre part, le cabotage a employé, pendant le même laps de temps, plus de 9000 barques annamites jaugeant ensemble 150 000 tonnes.


Les grands travaux, entrepris tant à Saigon que dans les principaux centres de population, améliorent chaque jour les conditions de notre occupation. Le réseau télégraphique qui occupe déjà un développement de 407 kilomètres, va s'augmenter d'un nouveau parcours de 87 kilomètres. Les progrès moraux suivent le même mouvement ascensionnel ; on compte aujourd'hui dans la colonie institutions ou écoles recevant 1240 élèves ; on s'occupe d'en créer de nouvelles et de recruter un supplément de personnel enseignant. Un service typographique a été également organisé le 1er février 1862, et a pris le titre d'imprimerie impériale de Saigon. Il comprenait à cette époque 5 ouvriers (1 compositeur, imprimeur, 1 écrivain autographe, 1 imprimeur lithographe et enfin 1 relieur) ; le matériel comprenait 2 presses typographiques à bras et 1 presse lithographique. Huit jours après, c'est-à-dire le 8 février 1862, l'imprimerie était en pleine activité, et la première impression sortie des presses fut une proclamation adressée à l'armée de terre et à la marine par le commandant en chef du corps expéditionnaire, M. le contre-amiral Bonard, qui venait de terminer une courte, mais brillante campagne contre les Cochinchinois opposés à notre domination. D'un autre côté, M. Aubaret, lieutenant de vaisseau et directeur des affaires indigènes, fit venir de Canton trois artistes chinois chargés de graver et d'imprimer en langue du pays un journal officiel destiné à faire comprendre à ces peuples les bienfaits de notre occupation ; ce journal était rédigé en entier par M. Aubaret, aujourd'hui capitaine de frégate et consul de France à Bangkok (Siam), qui connaît on ne peut mieux les signes idéographiques usités dans ces contrées lointaines. Aujourd'hui l'imprimerie de la Cochinchine est en pleine prospérité ; le matériel a été augmenté considérablement ainsi que le personnel. Dans l'origine, le journal qui se publiait avait pour titre : Bulletin officiel de l'expédition de la Cochinchine, et paraissait sous format in-8°, c'est-à-dire qu'il faisait volume ; le nouveau gouverneur, M. de La Grandière, a transformé ce journal, et aujourd'hui il est intitulé Journal officiel de Saigon, et contient des annonces commerciales, les entrées et sorties du port de Saigon, etc., enfin des articles divers sur le pays et les actes officiels.







DATES HISTORIQUES DE 1802 A 1945 DE L’EMPIRE D’ANNAM







- 1802 Unification du royaume viet par l’Empereur Gia Long qui lui donne en 1804 le nom de Viet Nam
- 1858 Prise de Tourane par les forces expéditionnaires Françaises
- 1859 Prise de Saigon et occupation de Gia Dinh par les Français
- 1862 Cession de la Feance par la cour de Hué de trois provinces orientales de la Cochinchine
- 1863 Traité de Phnom Penh établissant le protectorat français sur le Cambodge
- 1867 Occupation française des trois provinces occidentales de la Cochinchine
- 1874 Traité établissant le principe de protectorat français sur l’Annam. La france rétrocède les villes conquises mais obtient le droit d’installer une garnison à Hanoï et Haiphong, et utiliser le fleuve rouge pour le commerce
-1882 Deuxième occupation d’Hanoi par les Français
-1883 Traité Harmand, le viet nam devient un protectorat français
-1884 Traité Patenotre établissant de façon définitive le protectorat Français sur le Viet nam divisé en trois KY ( Tonkin, Annam et Cochinchine)
-1885 Reconnaissance par la Chine du protectorat Français sur l’Annam et le Tonkin.
Fuite de l’Empereur Ham Nghy et révolte des lettrés
-1887 Création de l’union Indochinoise


-1900 Fin de la pacification Française. Première exploitation coloniale du pays.
-1907 Intronisation de l’Empereur Duy Tan
-1916 Rébellion puis déposition de l’Empereur Duy Tan
-1930 Création du Parti Communiste indochinois
-1936 Fondation du front populaire
-1940 Entrèe des troupes japonaises en Indochine
-1941 Fondation du front Viet Minh
-1945 (Mars) Les Japonais désarment les Français en Indochine
-1945 (Aout) Capitulation des Japonais- Révolution d’Aout à Hanoi






 

 

ALFRED THEIL FUT OFFICIER DE MARINE SUR LA SAÖNE ET EN SUIVIT UNE PARTIE DES CAMPAGNES

LE SITE D'ALAIN CLOUET NOUS DONNE DES INFORMATIONS DETAILLES SUR  LES CARACTERISTIQUES DES NAViRES DU TYPE DE LA SAÖNE (Corvette à transport ou transport à batterie)  ET  LES CAMPAGNES DE LA SAÖNE DE   1855 à 1872 . 

transport Isère

Avant propos d’Henri Goybet




Le début de la conquête de la Cochinchine a commencé. En 1858, la flotte française en Extrême-Orient sous le commandement de l'amiral Rigault de Genouilly avait victorieusement participé aux côtés des Anglais à la campagne de Chine, se terminant par la prise de Canton et de Tientsin. Le 1er septembre, les bâtiments de guerre français bombardaient le port de Tourane (Da Nang). Le soir, la ville est tombée. Renonçant à prendre Hué, Rigault de Genouilly envoya ses troupes vers le sud, à la conquête de Saigon. Février 1859, l'escadre de Rigault de Genouilly était présente à l'embouchure de la rivière de Saigon, il remonta la rivière en bombardant les forts qui se trouvaient sur son chemin et prit Saigon à l'issue d'une courte bataille. Le 1er novembre de cette année, Rigault de Genouilly fut remplacé, à sa demande, par l'amiral Page comme commandant en chef du corps expéditionnaire.


C’est dans le cadre de cette conquête de Tourane en Cochinchine dans l’Empire d’Annam que s’inscrit le Journal de l’Aspirant de 1ère classe Alfred Theil écrit en 1858 intitulé ‘’ Relation pittoresque d’une campagne en Chine ‘’. C’est un garçon brillant qui fit de solides études à Louis Legrand et fut reçu 1er à l’école navale de Brest . Très bon dessinateur, parlant très bien l’anglais et le latin, il nous raconte ses impressions de Campagne, nous décrit les pays qui jalonnent sa traversée de Brest en Chine ainsi que leurs habitants et leur mode de vie. Il cisèle des scènes avec un don aigu de l’observation. Ingénieux et pétri de jeunesse et d’enthousiasme, il fait construire un théâtre au cours de sa longue traversée sur la ‘’Saone’’, avec les moyens du bord, en direction de la Cochinchine. En Escale à la réunion, il organise avec les autorités locales une représentation théâtrale au bénéfice d’une œuvre dirigée par la Baronne Darricau et qui a pour but d’élever dans une maison bâtie à cet effet les orphelins de St Denis. Cette représentation eut un immense succès.


Concernant sa mission en Cochinchine il est convaincu de la justesse de celle-ci pour des motifs religieux ainsi que de respect de la liberté de culte ( il est croyant et a beaucoup d’admiration pour ces missionnaires persécutés) ; et des motifs coloniaux voyant tout l’intérêt pour la métropole d’avoir une colonie en Cochinchine qui pourra lui apporter une prospérité croissante par les richesses de sa terre. Je le cite ‘’ Si l’on considère le développement rapide et inespéré des Colonies Anglaises Hollandaises et Espagnoles en Indo-Chine , en Chine et dans les iles qui avoisinent ces régions , on verra que Tourane qui jouît du même climat et des mêmes productions , dans une même région , présente les mêmes chances de succès. ‘’ .


Alfred sera victime de son courage sa jeunesse et son enthousiasme quand il refuse quasiment de se faire soigner atteint par les fièvres, souhaitant rester à son poste de combat près de ses hommes. Il obtiendra la croix de la légion d’honneur pour son abnégation et ses actes de bravoure. Nous avons un témoignage émouvant du chirurgien qui a assisté à ses derniers instants. La famille peut être fière de ce jeune Aspirant qui était promu à un avenir étincelant , homme cultivé plein de sensibilité et de générosité et qui croquait la vie à pleines dents.


Avertissement : Nous n’avons pas voulu censurer le texte concernant l’escale à Gorée ni le dénaturer en remplaçant des mots par d’autres. Il est bien entendu que toutes les hommes quelque soit les races ou les religions qu’ils pratiquent sont sur un plan d’égalité. Alfred Theil sur ce plan là a des idées qui sont conforme à l’esprit Colonial Français de cette époque. Songeons à tous les progrès qui ont été faits depuis les années 1850 et le témoignage d’Alfred nous montre la distance et les changements bénéfiques importants en la matière. Le général Mariano Goybet avait été à la pointe de cette révolution des mentalités en traitant bien les troupes de noirs Americains qu’il avait sous ses ordres durant la première guerre mondiale et qui le lui ont bien rendu en combattant comme des lions , et par le sang versé ont mérité notre admiration tout en nous délivrant du joug de l’envahisseur .









NOTES D’ALFRED THEIL QUI PARTICIPE A LA PRISE DE TOURANE
Aspirant de, 1er Classe






J’allais peut être partir pour trois ans ! et je voyais dans les rues de Brest aller et venir des hommes de toutes les professions et de toutes les classes de la société qui tous restaient ezn France . Sur cette multitude , il n’y en avait peut être qu’un qui allait quitter son pays et c’était moi ! Et ces gens privilégiés ne sentaient pas leur bonheur ! Ils n’ avaient pas le sourire sur les lèvres ! Quelques uns même avaient l’air d’oser s’ennuyer !


Il est impossible au moment de quitter son pays , sa famille, ses amis, en un mot de s’arracher à toutes ses affections pour trois ans, il est impossible, dis-je, de ne pas s’abandonner à la tristesse de ces réflexions . Mais la jeunesse reprend bientôt le dessus et l’appât de l’inconnu, joint à la pensée du retour chasse bientôt les idées noires qui avaient un instant voltigé autour du cerveau …..




LA SAONE





Commandée par le Capitaine de frégate LISCOAT la Saône est un transport mixte , possédant une machine de 160 chevaux, uniquement destinée à servir pendant les calmes plats On emploie aussi la vapeur pour entrer dans une passe ou en sortir, pour arriver au mouillage, ou pour appareiller . La SAONE est un grand navire noir et affilé, long de 71 m sur quille . Il est mâté en trois mâts barque, C'est-à-dire que son mât d’artimon n’a pas de vergues carrées , et ,n’est destiné à recevoir , pour toute voilure qu’une flèche et une brigantine , cette dernière étant remplacée par l’artimon, lorsqu’il vente.


En général, les transports de guerre ne portent pas de canons . Ils sont faits pour transporter les vivres et le matériel nécessaire aux bâtiments en station loin de France, ainsi que les troupes destinées à une expédition quelconque. Par extraordinaire on nous a donné 12 canons-obusiers de 30 . Nous avons un chargement pour Bourbon ; le reste de notre cargaison se compose de vivres, rechange et munitions de guerre pour la division navale de l’Indo-Chine .


Le mardi 16 Février 1858, LA Saône était prête à partir . Elle n’attendait plus que les troupes passagères que nous devions transporter à notre bord . L’embarquement avait été ordonné pour le 16 : Heureusement il y eut un retard et, ce fut seulement le mercredi 17, dans l’après midi que les chaloupes du port nous amenèrent les 550 soldats que nous conduisons en Chine . Sur ces 550 hommes il y a une demi batterie d’artillerie de marine. Tout le reste se compose exclusivement d’infanterie de Marine..


………


Nous voilà donc en route , regardant tous derrière nous les côtes du Finistèreque nous ne devions plus revoir de si longtemps . Petit à petit elles devinrent moins distinctes puis se confondirent avec la brume et enfin disparurent en dessous de l’horizon. Ne distinguant plus rien derrière nous, nous retournâmes vers l’avant , ne songeant plus qu’aux nouveaux pays vers lesquels nous faisions route. C’est un trait particulier et indispensable au caractère du marin de regretter vivement son pays au moment du départ et tant qu’on voit les côtes, puis de prendre son parti bravement et avec insouciance , dès qu’on les a perdues de vue .

Aussi vers les 5h du soir, nous avions oublié qu’il existe une France , ou du moins , la France se résumait pour nous en notre navire.

…………….



Note d’Henri Goybet


Suit sur la Saone 6 mois de navigation avec la traversée de Brest à Gorée puis le cap de Bonne Espérance , Bourbon, St Denis, Singapour, Hong –Kong début Août Enfin traversée de Hong kong à yu-Lin-kan avant la prise de Tourane .





ESCALE A GOREE







La première chose que l’on fait , en arrivant au mouillage dans un pays que l’on ne connaît pas , est de regarder l’aspect de la côte, puis ensuite de s ‘informer du nom des batiments sur rade.


En jetant un coup d’œil sur Gorée , mon imagination se reporta involontairement vers Kertch. L’Aspect était le même : Kertch était à moitié détruit ; Gorée n’est encore qu’à moitié construit . Les rues sont étroites et non pavées , mais le climat du pays ne comportant presque jamais de pluie , le terrain est toujours ferme et la poussière seule peut incommoder . A droite de Gorée en lui faisant face du mouillage , on aperçoit la Grande Terre , autrement dit le Continent , le sol africain. La côte parait assez verte jusqu’à un certain point à partir duquel on n’aperçoit plus que du sable blanc jusqu'à perte de vue .


…………………






Les noirs habitent des villages qui ressemblent à des habitations d’animaux vivant en commun plutôt qu’à des habitations humaines . Ceux qui habitent Gorée et la côte correspondante se divisent en 3 tribus . Les Yoloffs , les Djoloffs et les Lébous. Chacune de ces tribus parle une langue différente ; le Lébou est un patois des deux premières . Toutes les cases sont faites en paille et affectent la forme de ruches à abeilles . Une ouverture arrondie sert de porte . Le sol est couvert de nattes . Chaque case possède un petit enclos entouré par une haie de paille . Ces haies forment de petits chemins tortueux , et sablonneux . Devant chaque case on voit des femmes nues jusqu’à la ceinture occupées à piler le couscous . C’est une graine farineuse qui n’est autre chose que le gros millet . C’est l’unique nourriture qu’ils consomment . Les mortiers sont de grandes calebasses ou des fractions de tronc d’arbre à moitié creusé . Le pilon est en bois et de la hauteur d’un homme . Elles le manoeuvrent à deux mains , et de distance en distance, au moment où elles l’élèvent en l’air, elles l’abandonnent, frappant dans leurs mains, et le rattrapent avant sa chute . Il est vraiment curieux d’entendre, à l’approche d’un village Yoloff , le bruit sourd des pillons tombant sur le couscous , interrompu en cadence par ces battements de mains .




Les négresses ont adopté une singulière manière de porter leurs enfants : elles prennent le petit dans leurs mains , se courbent en avant , le placent à cheval sur leur dos., puis s’entourant elles et leur enfant d’une large étoffe , elles sont obligées de se cambrer : habitude qu’elles conservent lors même qu’elles ne le portent plus. Aussi une négresse qui voudrait s’habiller à la mode française, n’aurait nullement besoin de crinoline.


Les nègres n’ont pour la plupart du temps qu’un vêtement aussi primitif que la feuille de vigne . Cependant ils y ajoutent quelque fois une pièce d’étoffe pliée en deux et munie d’un trou circulaire pour laisser passer la tête : en sorte que leur tunique est ouverte des deux cotès dans toute sa longueur depuis l’épaule jusqu’aux pieds . Les négresses ne sont habillées que depuis la ceinture jusqu’aux genoux excepté quand elles portent leur enfant parce qu’alors elles nouent l’étoffe qui le soutient entre les seins . Il est déplorable qu’on ne leur ait pas appris l’usage du corset pour rétablir les choses dans leur position normale ; mais peu leur importe : elles n’ont pas sur ce point , les raffinements de coquetterie de nos européennes . Elles affectionnent par-dessus tout les étoffes fond blanc et de couleurs voyantes et bigarrées .
Les colliers en perles de verre coloré avec des anneaux et des ornements de cuivre sont le seul luxe qu’elles se permettent .




Chez les Yoloffs, les femmes seules et les esclaves travaillent . Les nègres musulmans peuvent avoir plusieurs femmes . Les prisonniers de guerre qu’ils ont acheté sont leurs esclaves , et ils les mènent à coups de bâton . Avant le mariage une femme est libre de ses actions et n’a de comptes à rendre à personne . Après le mariage, son mari a le droit de la tuer si elle a forfait à ses engagements . On trouve cependant à Hanne et à kareuï , mais non à Dakar , des maris qui vous offrent femmes, sœurs , enfants et toute la famille.



En général les nègres sont d’une probité remarquable . Ils cherchent bien à vous écorcher dans un marché ; mais on peut les payer d’avance : chez eux , ce qui est convenu est sacré et ils n’y manqueraient pas pour beaucoup .


Les Yoloffs, sont tout à fait amis des Français : on vit en très bonne intelligence avec eux . Mais il y a deux points sur lesquels ils sont inflexibles : leur religion et la conservation de leurs villages . Si d’un coté ils entendent les exhortations des missionnaires et les insinuations des chefs militaires français, les Marabouts sont des nègres musulman qui ont plus d’instruction que les autres, ce qui n’est pas difficile. Ils savent lire, écrire, et savent le KORAN à fond . Tous les matins et tous les soirs ils président à la prière et souvent, après la prière du soir ils réunissent les fidèles et pérorent en les exhortant vivement à secouer l’influence Française .


C’est du chirurgien du fort de Dakar que je tiens les renseignements suivants. Il comprend la langue Woloffe et ne s’en vante pas auprès des nègres afin de pouvoir surprendre leur conversations lorsqu’ils causent devant lui en toute confiance de n’être pas compris.



Les marabouts vendent aux nègres des colliers qu’ils donnent comme devant protéger , les uns de l’atteinte des balles, les autres des maladies , ceux-ci de requins , ceux là de serpents …..
Ces colliers sot appellès ‘’gris gris’’ par les nègres qui ont une confiance aveugle en ces prétendus talismans . Tellement qu’on a vu des nègres possédant ‘’ gris gris contre Caîmans ‘’ se précipiter sans arme dans le fleuve du Sénégal, au milieu de 10 ou 12 Caîmans, les braver et agir avec tant d’audace qu’ils intimidaient les reptiles . C’était bien fait pour les corroborer dans la foi qu’ils avaient en leurs Grisgris.


Or les Marabouts font de ces colliers avec la première chose venue sans y mettre le moindre goùt ni la moindre élégance. Ils le vendent jusqu’à 60 et 80 fr ce qui leur constitue un revenu superbe . On a vu des nègres laisser leur famille mourir de faim pour acheter des grisgris qui la préserverait de la faim. Le chirurgien du fort va tous les jours faire sa tournée à Dakar et soigne les malades . Les Yoloffs que le docteur guérit tandis que les grisgris ne purgent que leur bourse , n’achètent plus de grisgris et s’abandonnent au docteur . Un jour, donc, que le docteur se promenait à Dakar , il entendit un Marabout prêcher , après la prière du soir et dire aux Yolloffs réunis , qu’ils se laissaient dominer et tyranniser par les Français ; que petit à petit ils allaient renier leur religion ; qu’il fallait s’y prendre à temps et se réunir tous pour chasser les Français . Puis les marabouts causèrent entre eux et jurèrent qu’ils assassineraient ou empoisonneraient le docteur Français qui faisait tomber le commerce des grisgris . Le lendemain le docteur allait à Dakar dans les cases même des marabouts et ceux ci lui embrassaient les pieds. Malgré cela il prend ses précautions en cas d’urgence.



Voici comme on m’a raconté la prise de possession de Dakar par les Français :



Les compagnies de débarquement de la division française descendirent à terre et se rangèrent sur la plage en ligne de bataille, au nombre de 500 hommes à peu près . Les embarcations armées en guerre se tenaient en ligne près de la côte et menaçaient la plage de leurs obusiers de montagne . Le commandant Protet, qui commande la Station des Côtes Occidentales d’Afrique était à cheval en tête de ses troupes . Il recommande de se tenir bien prêt en cas de surprise et il fit venir r le roi de Dakar . Il lui dit qu’il voulait faire bâtir une maison de campagne sur son terrain et qu’il avait l’intention de le lui acheter. Le prix fut débattu . Enfin le Roi nègre demanda que l’on prit Monseigneur l’Evêque comme arbitre et déclara qu’il accepterait le prix que fixerait le prélat : ce qui montre la confiance qu’ils ont dans nos missionnaires quoiqu’ils ne se rendent pas à leurs exhortations . Seulement le Roi ne voulut pas permettre qu’on touchât une seule des cases de son village. ; il n’autorisa à batir qu’en dehors de la haie d’enceinte qui ferme tout village Yoloff de toutes parts . Alors on commença à batir et les nègres s’offrirent à porter les pierres et la chaux . On laissa 25 blancs pour terminer l’ouvrage ; les nègres firent le reste . Quand la maison de campagne fut faite, il se trouva que c’était un fort ……


Alors on y mit des soldats , puis des canons , et on poussa un grand éclat de rire en levant la tête derrière les murailles du fort. Les Yoloffs n’ont pas l’air d’y faire attention quoiqu’ils aient juré de se faire tuer plutôt que de laisser toucher leurs cases.


Pour leur faire comprendre leur position vis-a-vis de nous, on maintient sans cesse à Dakar , en plus de la garnison du fort, un détachement auquel on fait faire le tir à la cible avec la carabine à tige , pour faire ainsi comprendre aux nègres qu’on pourra les tuer tous jusqu’au dernier sans qu’ils puissent nous faire de mal, à cause de la différence de portée entre nos carabines et leurs mauvais fusils. Ils assistent toujours en grand nombre à ces tirs et paraissent stupéfaits en voyant avec quelle précision on atteint le but à des distances qu’il ne croyaient pas un fusil capable d’atteindre. La peur les empêche beaucoup de suivre les conseils de leur marabouts et tout en restant tranquilles de leur coté et vivant en bonne intelligence avec nous , ils n’admettent pas de relations trop intimes. Ainsi il y a deux ou 3 mois , une femme woloffe s’était abandonné à un mulâtre : ils noyèrent impitoyablement le mulâtre et sa mère, tandis qu’ils n’auraient rien dit si ç’eut été un nègre de leur tribu.


J’ai visité le fort dont les quatre coins sont armés d’une pièce de canon : c’est plus qu’il n’en faut pour tenir tout le village en respect . J’ai remarqué dans la cour du fort on gros oiseau à longues pattes et à gros bec comme la cigogne , qui s’est décidé à rester là parce qu’on lui coupe les ailes aussitôt qu’elles commencent à pousser et que les fonctionnaires ont la consigne de lui interdire la porte de sortie. Cet oiseau se nomme ‘’Marabout ‘’ à cause de son air grave. Malgré son long séjour dans le fort il est impossible de s’en approcher : il s’écarte constamment . C’est de cet oiseau qu’on tire la plupart des plumes qui ornent les chapeaux des élégantes Européennes. Le docteur me fit voir deux singes qu’il élève pour les emmener chez lui à son retour ainsi que des perruches de toute espèce.



Depuis que l’esclavage est aboli dans nos colonies , il n’en faut pas moins des noirs pour travailler la terre. Comme il n’en vient pas de bon gré , on va en prendre sur les côtes de l’Afrique, de Madagascar , de l’Inde etc…. et on les transporte aux colonies où leur travail est payé et où ils vivent en ‘’ Liberté’’ . Ils sont simplement engagés pour cinq ou dix ans au service de celui qui les a achetés. Autrefois on donnait la nourriture aux esclaves , on les entretenait . Maintenant ils sont libres, c’est vrai. Ils gagnent 10 frs par mois mais ils ont à payer leur nourriture : en sorte qu’ à la fin du mois, tout décompte fait , ils touchent O frs O centimes et même redoivent quelquefois . Sue leur importe ! Ils ont maintenant le droit de porter des souliers et des chapeaux noirs . Ils n’en demandent pas davantage .


Et voilà ce qu’on appelle l’affranchissement des esclaves !


……………..

Note d’Henri Goybet : Pour le moins ont-ils recouvré leur dignité, ce qui n’a pas de prix même si l’asservissement est bien réel vu les conditions de travail et de rémunération ……….. …….


Un de mes camarades qui fut à Kareui deux jours après moi , eut la chance d’être témoin d’une cérémonie assez originale et assez caractéristique pour que j’en fasse mention C’est la cérémonie de la circoncision A différentes époques on réunit tous les jeunes garçons agés de
12 à 15 ans et on les habille de vêtements neufs. Ils arrivent tous ensemble portant la Sagaîe ornée de mouchoirs éclatants et flottant au vent . Ils se réunissent chez un des patriarches de la tribue , chargé de l’opération , et là en présence de toute la tribu en habits de fête , le doyen des noirs les circoncit sur une pierre avec un ciseau à froid . A partir de ce moment là , ils doivent rentrer chez eux et rester 40 jours sans sortir de leur case , sans se lever et sans quitter leurs vêtements qu’on a renouvelés dans ce but le jour de la cérémonie . Après cela on les déclare hommes et par suite nubiles.
Tels sont les détails qui nous ont été fournis par un Marabout de ce village .




Je t’ai dit ( *il écrit à sa mère) comme quoi la frégate la Jeanne D’arc est en station à Gorée . Son commandant à la haute direction de toutes les opérations sur les côtes Occidentales d’Afrique . Sortons un peu de l’ile de Gorée et jetons un coup d’œil sur ce qui se passe au Nord et au Sud c'est-à-dire du coté de St Louis et du fleuve Sénégal d’un coté , et du coté de Grand Bassam , du Congo et du Gabon de l’autre.



Le but de la France est de pouvoir faire du commerce avec les noirs . Jusqu’ici les Anglais ont toujours été de la part de noirs , l’objet d’une préférence marquée, au moins quant aux relations commerciales . Et cela se comprend : les Anglais leur vendent de la poudre , des fusils , des armes et munitions de toutes espèces tandis qu’il est défendu aux négociants français de leur procurer quoique ce soit pouvant servir à faire la guerre, puisque nous sommes en guerre avec eux . Plusieurs petits bateaux naviguent dans le fleuve pour tenir les indigènes en respect. Nous avons construit sur les rives du fleuve plusieurs factoreries : le comptoir principal est St Louis.



Tout le royaume d’OUALO qui est sur la rive gauche , nous est soumis.




Au début, on voulait seulement avoir des comptoirs dans la Sénégambie et faire des échanges avec les peuplades nègres. Mais de temps en temps les noirs nous mangeaient des soldats ; il fallut bien en tirer vengeance . La guerre fut allumée : guerre d’autant plus terrible que les maladies et les fièvres pernicieuses tuent régulièrement la moitié de nos soldats, et cela en 3 ou 4 heures . Ceux qui sont les moins maltraités, pour peu qu’ils aient passé un an au Sénégal ne ressemblent plus qu’à des squelettes recouverts d’une peau jaune. Leur sang appauvri est presque entièrement dépourvu de globules et tend à se réduire au sérum .


Nous avons un autre établissement sur la côte des Dents, beaucoup plus au Sud que Gorée : C’est Grand Bassam . Il y a un fort duquel on ne peut sortir sans courir le danger d’être mangé ! Il y a deux ans , les Bossmanns , tribu nègre avec laquelle nous sommes en guerre sur ce point , nous ont mangé huit soldats d’Infanterie de Marine. On n’a pas pu en avoir raison ; parce que sur 500 hommes partis en expédition , 300 sont morts, la plupart atteints de fièvres , quelques uns envasés dans les marais , enfin un petit nombre , frappés par des balles .
Pour poursuivre les noirs jusque chez eux , il faudrait franchir des marais qu’eux seuls connaissent et au milieu desquels on trouverait infailliblement une mort épouvantable . Ensuite il faudrait 20 fois plus de monde qu’il n’en est nécessaire pour être les plus forts, parce qu’il faudrait faire la part des fièvres . Enfin il faudrait avoir des sapeurs qui fraieraient un chemin au corps expéditionnaire à travers les forets vierges qu’habitent les Bossmans ; et encore , ne faudrait il pas espérer d’avancer de plus de cinq à six mêtres par heure.



On avait songé à mettre le feu à leurs forets mais elles sont exclusivement formées de ‘’ Palétuviers ‘’ arbres très verts , très humides et par suite incombustibles , dont les branches retombant comme celles d’un saule -pleureur , reprennent racine en terre et fournissent de nouvelles souches . Outre ces obstacles–là , quelques rois nègres possèdent une grande quantité de soldats. Je citerai par exemple , le roi du Dahomey , qui peut conduire au combat, 10 000 guerriers.





On est obligé d’admettre dans l’Infanterie de Marine les noirs qui nous sont alliés , parce qu’ils résistent aux maladies du pays . Ce sont de mauvais soldats *. Mais voici une anecdote qui prouve que le naturel revient toujours :



Note d’Henri Goybet
* Les troupes de noirs Americains du Général Mariano Goybet étaient de redoutables combattants plein de bravoure .





Il y a chez les Bosmanns des fêtes à l’occasion . desquelles il est d’usage de manger un prisonnier de guerre. S’il n’y en a pas , on fait la guerre un peu avant pour avoir des prisonniers . Or il y a deux mois les Bossmanns se préparaient à célébrer cette fête pour la quelle ils engraissaient depuis longtemps un noir prisonnier appartenant à une des tribus voisines . La veille du sacrifice , le prisonnier s’évade et se réfugie au fort de Grand – Bassam , sachant bien que les Français n’autorisent pas l’Anthropophagie . En arrivant , il trouve le sergent de garde qui était un noir incorporé et promu dans la garnison française. Les Bossmanns poursuivaient le fuyard : ils arrivent à la porte du fort : le sergent leur demande ce qu’ils désirent , alors ils réclament leur prisonnier . Le sergent leur déclare qu’il ne peut le leur rendre qu’à la condition que le Roi des Bossmanns lui permettrait d’aller en manger sa part . On accède à sa demande , il livre le réfugié et le lendemain , il allait en uniforme de sergent d’infanterie de marine , manger sa part de la victime humaine.


Le fait fut connu ; le sergent passa au conseil de guerre et fut fusillé !



Il y a au fort de Grand-Bassam, un interprète noir qui a fait ses études au collège Charlemagne à Paris . Il est fils du Roi d’une des tribus nègres. Quand il revint dans son pays, il était vétu à la Française , en bottes vernies , gants beurre-frais , habit noir et chapeau de soie. Sitôt que son père l’aperçut ainsi transformé , il lui sauta au cou….pour l’étrangler , puis se ravisa et se mit à le rosser d’importance en lui mettant tous ses vètements en lambeaux . Quand il l’eut mis complètement nu , il le pria de conserver désormais ce costume qui était celui de ses pères . Il espérait bien, disait-il , que la leçon suffirait et qu’il ne se retrouverait plus dans la pénible occasion de lui renouveler ses conseils paternels .


Maintenant notre Dandy Parisien se nourrit de couscous et ne fait de dettes , ni chez son tailleur, ni chez son chapelier, ni chez son chemisier, ni chez son coiffeur moëlleusement étendu sur une natte , toujours dans le costume de ses pères . Il lit le Moniteur auquel il est abonné , fume son cigare, prend son ou plutot ses verres d’absinthe , tout musulman qu’il est , et attend que son père qui a tant pris à cœur de lui inculquer les bons principes, veuille bien lui céder la place.


Les noirs ont presque tous des fusils , mais ce sont d’anciens fusils à silex. Leur poudre ne vaut rien, en sorte que dans leurs mains c’est une arme peu redoutable , d’autant mieux qu’ils ont l’habitude de détourner la tête en tirant , et de prier le hasard de vouloir bien se charger de conduire le projectile à destination. Ils sont aussi armés de sagaîes , lances plus ou moins longues , suivant qu’elles sont destinées à être lancées comme un javelot ou à servir dans un combat corps à corps . Leurs poignards sont très larges et faits avec une feuille de métal très mince . Il y a des formes de manches et de gaines tellement variées qu’on ne peut songer à les décrire toutes. J’en ai dessiné quelques unes ; cela suffira pour donner une idée exacte de leurs diverses armes .


La Jeanne d’Arc fait souvent des croisières dans le Sud . Le Commandant supérieur tient à voir ce qui se passe à Grand-Bassam, au Gabon et au Congo. Je plains sincèrement ceux qui sont embarqués sur ce navire . La frégate passe des deux ou trois mois au mouillage près des côtes : on ne peut pas descendre à terre ., on ne trouve aucune provision : tellement que pour une galette de biscuit , les naturels vous donnent des Sagaîes , des poignards , des nattes, etc …. J’ai vu à bord de cette frégate des fétiches provenant du Congo et j’en ai pris les croquis. Ce sont des divinités en bois ou en ivoire aux quelles les artistes nègres se sont efforcés de donner des formes aussi humaines que possible..

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Le 17 à 4 Heures du Matin, on mettait aux postes d’appareillage , et laissant Gorée derrière nous , nous faisions route pour le Cap de Bonne Esperance.




 

UN THEATRE A BORD









On était encore à bord de la Saône , sous l’impression de la fête de la Ligne, et tous les esprits étaient tournés à la Gaïté Il était bon de conserver cette disposition générale pour tenir à l’écart l’ennui, d’où procède la démoralisation, source féconde de maladie



Il vint à l’idée d’improviser un théâtre ; pour cela, il fallait d’abord un théâtre ;, ensuite des artistes , puis des pièces de théâtre et enfin des costumes La chose n’était pas aisée ; cependant on parvint , avec les ressources du bord à satisfaire à toutes les exigences de la circonstance Je me chargeai pour mon compte des fonctions de Machiniste -Décorateur ; un lieutenant d’Infanterie de Marine se chargea de recruter et diriger les artistes ; chacun vint offrir les pièces de théâtre qu’il possédait Enfin les tailleurs du régiment convertirent en robes des rideaux de dames, des tapis de table et des housses de meubles que l’on sacrifie avec une générosité digne d’èloges car chacun comprit l’utilité de l’œuvre que l’on entreprenait On décide qu’il fallait être en état de donner une représentation le dimanche suivant On était déjà au Jeudi ; ce fut une question d’amour propre pour ceux qui s’en étaient chargé : on se mit à l’œuvre .



Le Directeur des artistes engagea plusieurs sous-officiers intelligents et leur fit de suite répéter la Corde Sensible .


Les tailleurs coupèrent rideaux, housses et tapis et, ajustant les débris, firent deux robes à volants, l’une en damas rouge , l’autre en Perse . On fit avec de la toile à voile deux jupons qui s’intitulèrent pompeusement ‘’ malakoffs’’, sous prétexte qu’ils étaient garnis de cercles de barriques . On arracha les entrailles à un coussin bourré de crin pour en faire des moustaches et des favoris ; on fit encore de l’étoupe , des hanches, des mollets , des formes de toute espèce ; le papier blanc se transforme sous les ciseaux en cols plats et manchettes pour femmes , en faux cols pour hommes , etc…. On devait trouver dans l’Etat-Major des bas blancs et des escarpins pour des dames , des vêtements bourgeois assortis pour ces messieurs . Quant au reste , la toile à voile peinte et taillée de toutes les façons, dut se charger de faire des costumes de paillasses, des dominos, des habits de mousquetaires , etc…..

Il ne s’agissait plus que de construire le thêâtre . Quatre montants en bois, plaçés verticalement sur le gaillard d’arrière à tribord, marqueront les quatre coins du théatre . Le fond sera formé par une toile que je peindrai un jour que j’en aurai le temps. Les coulisses seront faites avec des pavillons drapés de manière à faire des portes , des fenêtres , des cloisons ou des rideaux , suivant les besoins de la pièce . La facade se composera de trois bandes de toile peinte comme l’indique le dessin . Le rideau représentera un tableau quelconque et portera, sur une banderole, le quatrain suivant, composé à cet effet :



O vous qu’un Saint devoir appelle loin de France !
Soldats et matelots, au sein de la souffrance,
Rappellez–vous toujours que seule la Gaïté, soutenant le moral , entretient la santé

Bord de la Saône Mars 1858 A.T.




Enfin pour la toiture, un grand pavillon de natio fera l’affaire . Pour faire le plancher , on alignera les tables de l’équipage sur un plan de barriques reposant sur leurs bases. Le dessous du plancher sera caché par une devanture de pavillons. La boite du souffleur sera faite avec des cercles de barrique recouverts d’étamine . A gauche du théatre une large fenêtre donnera sur la mer ., à droite deux portes suffiront aux exigences de toutes les pièces .

Les montants en Bois sont prêts ; le rideau est coupé et muni de tous les accessoires nécessaires pour le lever et le laisser tomber. Le bas est garni de ‘’Biscafens’’ qui en faciliteront la chute. La toile de fond est coupée et installée ; la façade peinte et ajustée nous avons donc tout ce qu’il nous faut .


Le Dimanche est arrivé ; sitôt après la messe , la charpente se dresse ; les barriques montent de la cale et les tables du fau-pont . Les Gabiers amarrent les toiles sur les filières . Les timoniers et voiliers installent les pavillons, portes à droite, fenêtre à gauche . On fait tomber le rideau ; on place sur la scène une table et des chaises . Des sièges sont disposés devant le thèâtre pour l’Etat Major ; les acteurs sont habillés et sont prêts d ans les coulisses . Les bastingages, les haubans, tous les abords du théâtre sont occupés par une foule compacte de curieux , depuis 10 Heures du matin, heure à la quelle on a accroché à la cheminée l’affiche du spectacle . Les musiciens sont à leur places et accordent leurs instruments . Enfin le Commandant, le lieutenant chargé et le Colonel arrivent avec tout l’Etat Major : L’Orchestre fait entendre l‘ouverture . En même temps que 2 Heures sonnent, les 3 coups du régisseur retentissent . Le rideau se lève ……



Mimi et Zizine apparaissent gracieuses et coquettes , causant avec autant d’aisance et de familliarité que si elles étaient chez elles . Ensuite viennent deux messieurs : Tamerlan et Califourchon l’un pimpant et déluré, l’autre timide et comique au possible . Il faut vous dire que Tamerlan…..Ah ! mais vous connaissez peut être la corde sensible ? oui , oui, c’est probable. Je me contenterai donc de vous dire que l’illusion était complète . Les acteurs remplissaient leurs rôles avec une aisance , une finesse et un gout qu’on espérait pas trouver dans des jeunes gens complètement étrangers à cette sorte d’exercice.


Rien n’était plus pittoresque que les vives couleurs des pavillons éclairés par le soleil . Il était difficile de contenir les éclats de sa gaité en voyant ces jeunes ingénues que leurs robes de damas à grandes fleurs faisaient ressembler à des tentures vivantes . Les burlesques perruques sous lesquelles leurs têtes disparaissaient presque entièrement ne contribuaient pas peu à rendre la scène comique. Au moins n’allez pas vous figurer des têtes à moustaches sortant des corsages des femmes . Loin de là ! Imaginez vous au contraire deux gracieuses figures sans un poil de barbe . Figurez vous des minauderies et des allures d’une vérité surprenante . Figurez vous aussi, au milieu de la sçène la plus pathétique un coup de roulis chavirant tables et chaises , voyez les acteurs s’ accrochant d’une main aux coulisses et gesticulant de l’autre , sans perdre contenance , jusqu’à ce que le navire ait retrouvé son équilibre.




Les matelots se sont piqués d’amour-propre et ont voulu former aussi une troupe . Ils alternent avec la troupe des soldats passagers et nous procurent aussi de bons moments de gaïté .

Depuis on donne une représentation tous les Jeudis et tous les Dimanche de 2H a 4 H de l’après-midi

Le soir, l’orchestre fait danser l’équipage après le branlebas, jusqu’à ce que la fatigue entraîne les plus intrépides dans leur hamac.


Et l’équipage est gai ; et l’équipage est bien portant . Il est un fait curieux : ce n’est pas que je veuille lui assigner le théâtre comme cause unique et directe , mais je le constaterai et on fera ce que l’on voudra : De Brest à la ligne , nous avons perdu 4 hommes , dont deux emportés par les fièvres , depuis le 27 Mars c'est-à-dire depuis la fête de la ligne et l’établissement du théatre , non seulement nous n’avons plus eu de pareilles pertes à déplorer, mais encore les chirurgiens n’ont plus eu de maladies sérieuses à soigner. A notre arrivée à Bourbon, nos acteurs fait assez de Progrès pour pouvoir donner sur le théâtre de St Denis , une représentation au bénéfice de la maison des orphelins et des indigents de cette ville .


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Compte Rendu de notre représentation par ‘’ Le Moniteur’’ de l’île de la réunion .


Mardi, 1er Juin 1858.



La plus complète réussite a couronné l’entreprise des braves militaires qui avaient organisé une représentation théâtrale au profit des pauvres de notre ville Nous sommes heureux et fiers d’enregistrer ce succès , d’abord pour en rapporter tout l’honneur aux louables auteurs de cette bonne action , ensuite pour remercier la société locale de l’empressement avec lequel elle a répondu à un si généreux appel


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Pour saisir ce qu’il y a de noble et touchant dans la conduite des sous-officiers de la Saône , envisageons un instant leur position . Ils sont soldats : l’ambition de la gloire ou la loi de l’Etat les a appelés sous les armes ; défenseurs de la patrie , leur vie , leur liberté lui appartiennent . Un jour à sa voix , ils ont tout quitté, sol natal, famille, amis, pour aller soutenir au loin, bien loin l’honneur de la France, combattre et triompher pour elle , ou mourir sur la terre étrangère . Un relâche du bâtiment qui les transporte au théatre de la guerre leur permet de descendre sur une terre Française . Quelle est leur première pensée ? C’est de marquer leur passage par un bienfait . Alors ils oublient tout, et les regrets de la patrie absente, et la perspective des combats où ils peuvent trouver la mort ; futurs acteurs d’un drame terrible , celui de la guerre, ils préludent à cette lugubre comédie par des scènes de vaudevilles, où ils soulèvent l’hilarité de l’assemblée . Et puis la recette , la recette prix de leur peine, de leurs efforts, de leur générosité, ils vont la porter aux pauvres !


Quant au talent de comédien qu’ont déployé la plupart d’entre eux, nous nous en étonnons pas. Aujourd’hui le théâtre est le plaisir favori du soldat français , on le sait, s’est surtout révélée en Crimée. . Entre deux combats, les vainqueurs de Sebastopol jouaient un ou plusieurs vaudevilles . Souvent la pièce commençée sous les feux de la rampe finissait sous ceux de l’ennemi , et l’acteur terminait son couplet en chargeant les Russes . Alors la scène changeait soudain : le théâtre , c’était le champ de bataille ; les acteurs , c’étaient les deux armées en présence ; la voix des canons tenait lieu d’orchestre, et les plaintes lamentables des mourants , les blasphèmes des vaincus ., les hourras des vainqueurs formaient un sublime concert .


Ce qui nous a particulièrement amusé au spectacle de mardi , c’étaient les deux rôles de femmes . Nous avons beaucoup aimé les figures rondes et joviales et les formes brusquement accusées de ces dames improvisées . Aussi chaque fois que les deux visages paraissaient en scène , c’étaient des rires inextinguibles , des applaudissements frénétiques qui, loin de les déconcerter leur faisait redoubler leurs mimiques comiques . Et pourquoi après tout, ces braves militaires en jupons, si toutefois jupons il y avait , se seraient ils déconcertés ?


N’ont-ils pas eu pour eux l’exemple du plus ancien , du plus ancêtre de tous les héros ? Le grand Alcide pour plaire à sa maitresse Omphale , prenait des habits de femme et filait à ses cotés . Eux ils ont pris la coiffe et la robe pour une déesse plus belle cent fois et plus aimable qu’Omphale , pour l’amour de la Charité .



T.L.



Tout fut pour le mieux , la recette dépassa les plus fortes qu’on ait jamais faites sur ce théâtre. Il y avait plus de spectateurs que de places . Tout le monde , je crois, fut satisfait , et personne ne regretta sa soirée .



Après la soirée , les acteurs furent réunis à un souper splendide, où ils purent se dédommager amplement des privations qu’ils avaient souffert pendant trois mois de traversée !

On a ouvert à bord une souscription pour acheter des costumes et des pîèces de théâtre . Maintenant nous sommes bien montés.


La Saône peut reprendre la mer .


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SINGAPOUR




La Saône était mouillée à environ deux mille de Singapour , aussi la ville était elle preque entièrement cachée par l’énorme quantité de navires qui peuplaient la rade. La côte entoure la rade circulairement et n’offre qu’une solution de continuité du côté de la Chine ; c’est l’entrée de la rade pour les navires venant de Chine. Il y a une entrée pour les navires venant des indes. La terre est peu élevée de tous côtés . Partout la végétation est excessivement riche et pittoresque . Lorsqu’on s’approche de Singapour pour descendre à terre on voit une côte plate et verte sur la quelle à quelque distance du rivage , on remarque plusieurs monuments alignés et séparés les uns des autres par de charmants bouquets d’arbres . La Colline du Gouverneur avec son mât de pavillon domine toute la ville.

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Je m’en vais voir la ville afin de pouvoir dire quelle tournure elle a !

Me voilà à l’entrée de la petite rivière qui sert de port aux embarcations . J’accoste à gauche , je saute à terre , j’enfonce dans la vase , et après avoir monté 7 ou 8 marches humides en pierre grisâtre , je suis sur le quai devant chez Mr Wampo. Toutes les maisons qui bordent le quai ont au rez-de-chaussée des arcades basses dont les piliers carrés sont en plàtre blanchi.
Les magasins qui sont sous ces arcades sont étroits , nauséabons, sales et mal éclairés . Des milliers de Chinois et de gens de couleur se bousculent , marchent , courent , stationnent : tous ont l’air affairé . Chinois, Malais, coolies, Bengalis, Malabars, parias, Clings, tous ces gens presque nus remplissent les rues de leurs personnes et de leur odeur caractéristique. Passez devant 5 ou 6 magasins : vous sentirez alternativement la marée, le poisson salé, la résine, l’encens, la viande de boucherie échauffée, l’opium, la vase, le patchouli, etc…

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Le pays il faut le reconnaître est fort beau et la végétation y est admirable. A neuf milles seulement de Singapour, du côté de Bouquétine, on peut aller voir une foret vierge. Dans les environ de Singapour , on trouve une assez grande quantité de tigres qui viennent de la presqu’ile de Malacca et passent le détroit à la nage. On dit qu’il y a 400 chinois en moyenne mangés par les tigres chaque année . On a creusé dans les endroits fréquentés par les tigres des fosses couvertes par une bascule sur laquelle on place des quartiers de Bœuf . Quand le tigre, attiré par l’appat, vient sur la bascule , il est précipité dans la fosse et tombe sur des pieux pointus plantés dans le fond . Lors même qu(il ne se blesserait pas dans cette chute, il lui serait impossible de sortir de cette fosse. Il est aux mains de l’ennemi. Dernièrement on a trouvé un Boa Constrictor qui était tombé dans un de ces pièges On a pu s’en rendre maître et maintenant, il n’existe plus de lui que sa peau Les reptiles sont nombreux dans ces contrées On en compte 40 espèces dont 2 venimeuses . Les buffles sont nombreux dans le pays . On les emploie comme les bœufs à traîner les charrettes. On leur perce la cloison qui sépare les deux narines, et on passe dans ce trou une corde qui sert à les diriger. Les seuls chevaux que l’on trouve à Singapour , sont les poneys de Betavis, petits chevaux très rapides , supportant bien une course au soleil, mais ayant peu de force, et ne pouvant pas faire de longues courses sans se reposer. Les voitures appelées Palanquins sont empreintes d’un cachet particulier et ont quelque analogie avec nos tapissières ; seulement elles sont plus petites et possèdent des glaces qui peuvent les fermer complètement.



Dans tous les environ de Singapour on rencontre une grande quantité de palmistes, de cocotiers, de bananiers et de muscadiers. La muscade, le poivre, le gingembre sont l’objet d’un commerce très actif d’exportation. Le figuier des Banyans y est aussi très commun et le palétuvier croît partout ou il trouve de l’eau.


Quand on veut avoir une idée exacte de Singapour, il faut monter au sommet de la colline du Gouverneur. De là on aperçoit la rade avec ses deux entrées et ses baies. On voit à vol d’oiseau la ville coupée ça et là par de nombreux ruisseaux et enfin on distingue tout l’intérieur du pays. C’est une vue délicieuse que je regrette bien de n’avoir pas pu dessiner.



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HONG-KONG










Nous partîmes de Singapour par très beau temps et au large, nous trouvâmes une petite brise favorable. La traversée ne présenta absolument aucun incident intéressant . Sur le pont les trois quart de nos hommes coiffés de chapeaux Chinois continuent à faire passer le temps en jouant aux cartes. Ils jouent surtout à la ‘’drogue’’ . Ce jeu consiste à infliger sur le nez du perdant un certain nombre de coups de carte , en rapport avec les circonstances atténuantes ou aggravantes de la défaite .

Au bout de 14 jours , on aperçut la terre qui fut signalée le 3 Aout au jour. Un pilote Chinois vint nous prendre et nous entra dans une baie excessivement encaissée et parfaitement fermée . C’est sur cette baie qu’est bâtie la jolie ville de Hong-Kong .


L’ Amiral n’est pas à Hong –Kong ; nous n’allons donc pas encore savoir notre sort tout de suite , mais au moins nous sommes rendus à destination , et nous ne tarderons pas à prendre, nous aussi, une part active à la guerre.



La côte qui semble former de tous cotés la rade de Hong kong , est très élevée et très aride. La ville qui est située en amphithèâtre sur le penchant d’une haute montagne , est très pittoresque . Elle offre à la vue des maisons très coquettes et d’une blancheur éclatante. A droite, les cases des chinois contrastent singulièrement par leur simplicité et leur apparence de misère avec le bien être et la fraicheur que respirent les maisons des colons Anglais.


Hong-Kong est sans contredit l’endroit de la chine ou l’on éprouve les plus fortes chaleurs. La rade étant comme je l’ai dit fermée de toute parts par de hautes montagnes, l’air n’y circule que difficilement d’où il résulte que le séjour de la rade et de la ville est extrèmement malsain. .


La première chose qui nous frappe sur la rade , fut la quantité de bateaux chinois appelés sampans, jonques et tancas , qui la parcourent en tous sens et qui servent de maison chacun à une famille. Les chinoises jeunes ou vieilles rament ou manient la gaffe comme le premier batelier venu. Leur costume est le même que celui des hommes , à cette différence près que ceux-ci quittent souvent leur vareuse et ont leur torse nu.



Lorsqu’on descend à terre, on accoste au pied d’une chaussée sur laquelle on arrive en montant quelques marches baignées par la mer. On aperçoit alors devant soi une large allée formée par de belles maisons et terminée par un massif d’arbres . Au bout de cette allée , l’œil découvre , au dessus des arbres des hautes montagnes semées jusqu’à une certaine hauteur d’une foule d’habitations éparses ça et là . Donnez vous la peine d’aller jusqu’au bout de l’allée , tournez à droite, et vous vous trouverez dans la plus belle partie de la plus belle rue du plus beau quartier de Hong-Kong : Je veux dire Queen’s Road .



De superbes maisons ornées de balcons que soutiennent des galeries à colonnades et qu’ombragent des arbres pleins de fraîcheur ; de vastes trottoirs sous les galeries ; des grilles dont les barreaux d’un noir poli ressortent sur la blancheur des murailles ; les noms des maisons de commerce traçés en lettres dorées sur des écriteaux vernis en noir ; la propreté et le luxe extérieur , tout rappelle les Arcades de la rue de Rivoli ou les galeries du Palais Royal..


Seulement les Dandis Parisiens sont remplaçés par des chinois coiffés de chapeaux de paille coniques et gigantesques , vêtus pour la plupart de haillons et remorquant tous sans exception cette longue natte de cheveux , reste unique de leur chevelure rasée , et dont la mode fut imposée par un usurpateur Tartare (1) . Les brillants équipages de la capitale sont remplaçés par des Palanquins à bras que deux ou quatre chinois enlèvent au trot . Quand aux graçieuses et élégantes promeneuses parisiennes , il est inutile de dire qu’elles ne sont pas remplaçées du tout. De loin en loin une chinoise qu’on ne peut qu’avec peine distinguer d’un Chinois vu l’uniformité des vêtements .



Le costume des Chinois pour les deux sexes se compose d’une vareuse bleue ou blanche d’étoffe qui descend un peu moins bas que la cheville . Beaucoup d’entre eux suppriment la vareuse et n’ont qu’un pantalon pour tout vêtement . Cest un spectacle original je l’avoue mais peu gracieux que celui de la foule qui circule.




(1) La famille régnante actuelle en Chine qui appartient à la race des Tartares Mandchoux de l’Ouest , détrône , dans la première moitié du 17ème siècle , la famille royale qui appartenait à la race des Tartares Mogols de l’Est , chez lesquels on portait tous les cheveux. L’usurpateur imposa à ses sujets l’obligation de se raser une partie de la tête , et de ne conserver que la longue natte . Il ordonna aussi que les femmes portassent le pantalon . On ne se soumit qu’avec peine à ces mesures . Mais quelques bastonnades et quelques décapitations réduisirent les sujets à l’obéissance . Maintenant un chinois tient à sa natte vulgairement appelée ‘’queue’’ autant qu’à sa vie , et il est actuellement pour eux aussi déshonorant de la perdre , que ce l’était autrefois pour les Mérovingiens, de perdre leur chevelure .

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Voyez un peu quelle activité règne dans la ville : il y a 7 ou 8 ans Hong-Kong n’était rien ; maintenant c’est une ville qui compte un grand nombre d’habitants et qui est le premier entrepôt commercial de la Chine gràce à l’importance que lui ont donné les divisions anglaises et françaises qui parcourent depuis quelques années les mers de Chine. Trois vieux vaisseaux anglais passés à l’état de pontons servent de magasins et de casernes . Des vapeurs en fer américains , anglais et français entrent et sortent continuellement. Tout enfin indique dans ce port l’activité et la vie d’une colonie naissante.

Quand nous arrivâmes à Hong-Kong , il n’y avait que deux navires de guerre Français : la Dordogne , gabarre mixte , et le petit vapeur le Lilly frêté par des français . Nous apprîmes que la Dordogne allait appareiller le plus tôt possible pour aller à Manille chercher des troupes espagnoles, et notre commandant recut des instructions par lesquelles l’Amiral lui enjoignait de se rendre en toute hâte au rendez-vous qu’il lui indiquait .




Le 6 au soir, on nous prévint que l’on appareillerait le lendemain le 7 à 7 heures du matin. je fus à terre avec une baleinière pour amener à bord Monseigneur Pellerin et les missionnaires de sa suite . En revenant je demandai à Monseigneur s’il savait ou nous allions ‘ Maontenant’ me dit il ‘qu’il n’y aura plus de communication avec la terre , je puis vous dire : nous allons à Yu-Lin-Kan petite baie située dans la partie méridionale de l’ile d’ Haînan . Les autres navires vont nous rejoindre là . L’Amiral a du quitter Shang-Hai hier à la remorque du Phlégéton et quand toute la division sera réunie , on se disposera à l’expédition de Tourane .’

Nous arrivâmes à bord : la cheminée vomissait des tourbillons de fumée et la vapeur nous annonçait en sifflant , qu’on avait de la pression . On garnit le cabestan ; un instant après nous étions dérapés et nous faisions route pour Yu-Lin-Khan.








LA MISSION DE COCHINCHINE ET LES MOTIFS DE L’EXPEDITION DE TOURANE








Sitôt que la Saône fut hors de la passe de Hong- kong , on quitte les postes d’appareillage et tout l’Etat major envahissant la dunette, se presse autour de Monseigneur Pellerin et de ses missionnaires pour avoir des détails sur la nature du pays, sur Tourane , sur la force militaire des Cochinchinois , etc……



Trois missionnaires, les pères Legrand, Reynaud et Robert, ainsi que 7 néophites cochinchinois accompagnaient Monseigneur qui est en Cochinchine depuis 15 ans et parle admirablement la langue du pays.


Il ne sera pas déplacé de parler un peu ici des persécutions que nos missionnaires ont à subir en Cochinchine , Puissé-je en divulguant les misères qu’ils supportent avec tant d’héroïsme et qu’on ne connaîtrait jamais s’il n’y avait qu’eux pour parler , puissé-je , en divulguant les misères qu’ils supportent avec tant d’héroïsme et qu’on ne connaîtrait jamais s’il n’y avait qu’eux pour en parler , puissé-je leur faire payer le juste tribut d’admiration dû à leur dévouement et à leur évangélique modestie !



Les lois Cochinchinoises défendent sous peine de mort aux missionnaires européens de s’introduire dans aucune partie de l’Empire Annamite . L’Empire Annamite ou d’Annam formé par la réunion de la Cochinchine et du Tong-king , est gouverné par un Empereur qui réside à Hué , capitale de la Cochinchine Hué est à environ 20 lieues de Tourane .
Donc tous les missionnaires qui consentent à aller prêcher l’Evangile en Cochinchine , s’exposent volontairement à la peine capitale qu’ils ne peuvent éviter qu’en se cachant le jour tandis qu’ils officient et prêchent la nuit dans des chapelles souterraines où leurs adeptes se réunissent comme autrefois les chrétiens pour célébrer la messe du temps des persécutions des empereurs romains . De plus tout Cochinchinois ‘’ soupçonné ‘’ d’être chrétien ou d’écouter les exhortations des missionnaires a le cou coupé sans procès ni enquête .



Voilà dans quelles conditions sont plaçés tous les membres de la mission en Cochinchine : C’est déjà peu réjouissant et, il faut le dire, peu encourageant Ajoutez à cela une police active constamment aux aguets pour découvrir tout ce qui peut avoir avoir l’air catholique ; quelques espions qui, sous prétexte de se convertir vont écouter les sermons secrets et dévoilent les noms des néophytes ainsi que les lieux de réunion , vous aurez une idée des dangers qui, à chaque heure du jour et de la nuit , menacent les missionnaires Eh bien malgré cela, on trouve des éclésiastiques qui acceptent cette mission et poursuivent leur œuvre sans cesse ni repos jusqu’au bout de l’existence Traqués comme des bêtes fauves ; obligés de fuir la nuit à travers des pays sauvages et inconnus , se cachant le jour dans des broussailles et des ravins ; manquant de vêtements ; souffrant de la faim et de la soif ; dénués de toute ressource ; s’attendant à chaque instant à être arrêtés et à subir les tortures de la Cangue, du feu et du bâton ainsi que les humiliations les plus poignantes , ils vont prêchant par leur chemin l’amour du prochain , le pardon des injures et la résignation et la volonté de Dieu . Puis ils reprennent leurs courses nocturnes sous le coup d’un danger toujours imminant et c’est ainsi que chaque jour se passe , leur apportant sans cesse de nouvelles inquiétudes , de nouvelles souffrances toujours, toujours ; jusqu’à ce qu’il succombent épuisés de fatigue, de faim et de soif , ou que le fer du bourreau imprime leur nom sur la liste des martyrs en mettant fin à leur existence au milieu des tortures les plus effroyables .



Tout ces détails nous étaient donnés par Monseigneur Pellerin et ses missionnaires , mais on ne saurait imaginer avec quelle simplicité et quelle modestie ils répondaient aux questions . Tout cela leur semblait parfaitement naturel et ils n’avaient pas même l’air de soupçonner qu’on pût leur trouver du mérite . Ecoutez les et jugez .


……………………….



Les mauvais traitements infligés à nos missionnaires et en général à nos nationaux devaient un jour ou l’autre attirer la colère de la France . Ces motifs joints à des griefs d’une autre espèce mais également graves , sont ceux qui ont décidé l’expédition que l’on prépare. Remontons en arrière de quelques années et examinons rapidement les relations que , jusqu'à ce jour, nous avons eues avec la Cochinchine.



En 1831, la corvette la Favorite, commandée par Mr Laplace alors capitaine de vaisseau, vint à Tourane . Il eut quelques conférences amicales et semi-officielles avec les autorités du pays , au sujet des relations commerciales qu’il serait possible d’établir entre la France et la Cochinchine.

En 1842, l’héroîne vint également à Tourane réclamer 5 missionnaires français que l’on retenait depuis 18 mois dans les prisons de Hué .


En 1845, l’Almène vint réclamer Monseigneur Lefevre qui était à son tour prisonnier à Hué ; On rendit la liberté au prélat qui, quelque temps après rentre en Cochinchine pour poursuive sa mission.


Ce fut en 1847 que commencèrent les premières hostilités.





Voici les faits relatés par D. de Jancigny

‘’Craignant pour un de nos vicaires apostoliques , arreté par les Cochinchinois , la corvette La Victorieuse fut expédiée à Tourane avec une lettre du Commandant Lapierre pour le gouvernement Cochinchinois exigeant la mise en liberté de l’Evèque missionnaire et de plus demandant la liberté du culte. Pour les chrétiens dans tout l’empire.

Pendant toute l’entrevue avec le préfet , on remarquait de la frégate un très grand mouvement de troupes . Il en arrivait de tous cotés . Enfin le Commandant apprit qu’on avait l’intention de faire un massacre général des Français à la grande entrevue qui devait avoir lieu. Six galères venaient d’être armées et à bord du ‘’ bateau aux voiles’’ on trouva tout le plan de l’attaque . l’aide de Camp du commandant Lapierre fut immédiatement expédié à terre pour prévenir les autorités que ‘’ dans le cas ou un seul bateau armé sortirait de la rivière, les navires feraient immédiatement feu ! L’Amiral Cochinchinois répondit que nous n’avions pas d’ordres à lui donner, que la rade ne nous appartenait pas , qu’il était libre de faire et qu’il ferait ce que bon lui semblerait.




L’aide de Camp trouva les Cochinchinois occupés à démolir les maisons qui masquaient le feu de leurs batteries de terre : et malgré l’avertissement donné , deux galères sortirent dans la nuit par une fausse passe. ‘’ le 13 Avril à 11 Heures , le signal de combat fut hissé à bord de la Gloire et la frégate et la Victorieuse ouvrirent un feu bien nourri ‘’ et surtout bien ‘’dirigé’’ sur les pauvres corvettes cochinchinoises aux cris de ‘’vive le roi’’ . Une demi heure après l’une des corvettes fut incendiée par un obus et sauta avec tout son équipage .. Quelques minutes plus tard , une autre coula en chavirant . Enfin au bout d’une heure les trois autres , dont une à moitié coulée , furent incendièes par les embarcations de nos navires . La marine cochinchinoise venait d’être anéantie ; un millier de cochinchinois avaient perdu la vie dans cette lutte inégale. !..... ‘’



Les deux bâtiments appareillèrent alors laissant sur la plage une lettre dans laquelle le Commandant Lapierre prévenait le gouvernement de Hué qu’il était obligé de partir parce qu’il avait affaire autre part mais que le dernier mot n’était pas dit et qu’il reviendrait . Il ne put tenir sa promesse parce que ses deux bâtiment se perdirent . De retour en France , il reste 4 Ans sans commandement et ce n’est qu’en 1851 que l’Empereur l’ayant vu à Toulon, le félicite sur sa conduite à Tourane , et, pour réparer l’injustice oubli dans lequel on l’avait laissé, lui envoya le lendemain même son brevet de Contre-Amiral.




En 1857 , le Catinat , ayant à son bord Mr Montigny, ministre plénipotentiaire de France , vint à Tourane porter de la part du gouvernement Français une proposition de traité de commerce La lettre fut portée à terre : personne ne voulut se charger de la faire parvenir On la disposa sur la plage en prévenant que si dans deux heures on ne l’avait pas prise, on allait entamer un autre genre de négociations à coups de canons Au bout de deux heures , la lettre était à la même place ; un nuage de fumée s’échappe du flanc du navire et une grêle de boulets met les forts sans dessus dessous Alors le Catinat lève son ancre et s’en va tranquillement



Il fallait enfin chatier d’une manière exemplaire ‘’ l’insolence’’ et les bravades du gouvernement Cochinchinois. C’est à cet effet que les bâtiments de la division devaient se réunir à Yu-lin-kan, pour marcher de là sur Touranne .




En mars 57, Monseigneur Pellerin partit de Hong-Kong pour aller en France parler à l’Empereur. Il lui rapporta les violences que subissaient chaque jour les sujets français et catholiques en Cochinchine. Il parle des ressources du pays , des avantages qu’il présentait comme végétation et position pour l’établissement d’une colonie . Enfin il se retira ayant donné à l’Empereur tous les renseignements que son long séjour en Cochinchine l’avait mis à même de recueillir . Il profite de son séjour en France pour se procurer toutes choses dont il manquait depuis si longtemps à sa mission. Le paquebot le débarque à Hong-kong où nous le primes à bord de la Saône avec ses missionnaires et ses néophytes annamites . Ces derniers avaient tous fait des études sérieuses et parlaient Latin avec ceux des missionnaires qui connaissaient la Cochinchine. Chacun alors rappela ses souvenirs classiques , et au bout de quelques jours on parlait Latin couramment…… je n’ai pas dit correctement !

Si nous n’avions pas étudié le Latin, nous n’aurions pas pu causer avec ces braves annamites qui nous ont donné plus d’un renseignement utile ou intéressant.



Je déclare ce jour d’hui , 8 Aout 1858 par 18°40’ Lat N. et 108°48’ Long E. , j’ai entendu la langue latine employée comme langue vivante . Elle était un peu mutilée et beaucoup défigurée mais elle était ma foi vivante, parfaitement vivante et juissait d’une santé qui lui permet d’espérer encore de longs siècles.




Notes d’henri Goybet

La Saone arrive à Yu Lin Khan, Le 14 Aout. le Chef d’Etat Major , Mr le Capitaine de Vaisseau Reynaud , qui commandait la Némisis vint à bord et affecte Alfred Theil à la frégate Amiral La Némisis.



Reprise du journal d’Alfred





 

LE THEATRE DES FOLIES NAUTIQUES : DERNIERE REPRESENTATION










C’était le 15 Aout ; la Saône devait donner une représentation extraordinaire à la Division. Le Némésis qui avait un théâtre jouerait seul et que l’Amiral nous enverrait sa musique . Je n’appartenais plus à la Saône , mais je voulais une dernière fois exiger mon théatre . Je retournai donc à bord de la Saône où j’offris mes services au lieutenant qui les accepta avec empressement .



Ordinairement on adossait notre thêâtre à la dunette en ne lui faisant occuper que la dernière du gaillard d’arrière . Ce jour là nous devions avoir un public nombreux ; il fallut donc aviser à autre chose . A bord des gabarres, la distance entre le grand-mât et le mât de misaine est énorme. On pousse les drômes en abord, on dégage le panneau de charge, et le théâtre fut adossé au mât de misaine , faisant face à l’arrière . De chaque côté du théatre une haie en verdure dans le prolongement de la façade laissait un portique qui permettait de passer derrière la scène. Des lanternes chinoises furent pendues en guirlandes ; tous les fameux du bord furent employés à l’illumination , et l’immense espace compris entre le mât de misaine et le grand mât , et les murailles de chaque bord fut garni de fauteuils , de chaises et de bancs . Les drômes servaient de sièges naturels en abord aussi bien que les bastingages.


Sept heures sonnèrent : il faut que dans une demi-heure tout soit prêt , ou bien il ne me reste qu’une ressource : celle de l’héroïque Watel. Et les lustres qui éclaireront la scène ? ils ne sont pas encore faits . ‘’ Qu’on m’appelle un charpentier ! allons ! plus vite que ça ! ‘’ . Il arrive , je lui donne mes instructions . Il redescend . Il n’y a plus que dix minutes et les lustres n’arrivent pas . Je me précipite en bas : J’empoigne un marteau : je cogne , je cloue, je m’écrase l’index . Les lustres sont finis ! Je fais évacuer la scène , j’amène le rideau et le directeur de la troupe se tournant vers moi, a prononçé la formule sacramentelle : ‘’ Quand vous serez prêt . ‘’



Aussitôt la musique , mais une vrai musique, un vrai orchestre joue l’ouverture . Une nuée d’invités se répand soudain sur le pont, sortant de tous les panneaux . Le Chef d’Etat-Major ( l’Amiral était souffrant , il ne put assister à la représentation ) ., le chirurgien en principal , le Colonel, les Commandants des navires prennent leurs places , 150 officiers se répartissent sur les sièges derrière cette galerie d’autorités . 1200 à 1500 matelots , se précipitant sur les drômes, sur les bastingages, dans les haubans et jusque dans la grand-hune. Ils s’asseyent, se hissent , se perchent , se suspendent partout où ils peuvent appuyer un pied ou accrocher une main. Le spectacle commence.



Le plus beau spectacle, pour moi était celui de l’aspect général : le soleil était couché depuis longtemps . Le champ de Mars ne m’a jamais paru si grand en plein soleil , que cet amphithéâtre éclairé au centre et dont les contours , formés par une ceinture d’un millier et demi de matelots , allaient, par des teintes décroissantes , se perdre dans l’immensité des ténèbres nocturnes . Joignez à ce tableau, l’impression produite par un orchestre après une traversée de six mois pendant laquelle on n’ a eu pour toute musique que le sifflement du vent dans les cordages , le mugissement des vagues autour du bord et le craquement de la charpente du navire , ajoutez encore le souvenir des bals et des théâtres dont on jouissait au milieu de la famille sur le sol de la patrie , souvenir que cette fête rappelait inévitablement, et, si vous avez fait des voyages lointains ou de longues absences, séparé de votre famille et de votre pays, vous comprendrez quel délicieux moment d’extase j’ai du éprouver dans cette soirée .



A onze heures et demi le spectacle se terminait, les officiers prièrent les nombreux invités de vouloir bien venir dans leur carré prendre quelques rafraîchissements avant de partir . En entrant sous la dunette , nous vîmes une longue table recouverte d’une nappe et surchargée de bouteilles et de verres . Elle était acculée au fond de la salle et ne laissait entre elle et la muraille que l’intervalle nécessaire à la circulation du maître - d’hôtel et des domestiques .




Notre entrée fut saluée par une bruyante explosion de bouteilles de champagne et les verres remplis furent vidés en un clin d’œil, à la santé de l’Empereur des Français . Remplis une seconde fois , ils furent vidés aussi rapidement à la santé de l’Impératrice . Ensuite à la santé du Prince Impérial, ensuite à la santé de la princesse Mathilde , ensuite à la santé de l’Amiral.
Soudain on vit s’élever la gigantesque flamme d’un océan de Punch , qui ravivant le patriotisme français , donne les forces nécessaires pour vider force petits verres de vieux Rhum de la Jamaîque à la santé des divers ministres de la France . Pour refaire les estomacs on fit circuler un bordeaux et pour être sur d’avoir de l’appétit le lendemain matin à déjeuner, on termina par le Madère.


Sur quoi on fit accoster les embarcations et chacun se retira de son côté, ébloui de la générosité et de la magnificence qu’avaient déployées les officiers de la Saône .

Tels furent mes adieux à ce navire où j’avais pendant une traversée de 6 mois goûté une existence paisible et parsemée de distractions en compagnie de braves et anciens camarades , gais, sincères, et confiants dans l’avenir comme moi., sous les ordres d’officiers remplis d’affection et de cordialité.




Notre dernière représentation avait été la plus longue et la plus somptueuse que nous ayons jamais donnée. Ce fut pour notre théâtre ce retour momentané à la vie qui succède à l’agonie et précède la mort . Grâce à la musique de la Némésis, ses derniers accents furent mélodieux comme le chant funèbre du cygne. Lorsque les derniers accords de l’orchestre vibrèrent , j’éprouvai un violent serrement de cœur : j’avais recueilli les derniers soupirs du THEATRE IMPERIAL DES FOLIES NAUTIQUES.



Quelques jours après , les troupes embarquées comme passagères sur les navires reçurent l’ordre de descendre à terre pour y camper. Les tentes furent dressées avec la promptitude , l’habileté et la symétrie familière aux troupes françaises et on commença le service en Campagne.



Nos soldats furent avertis qu’il fallait se défier du soleil et de l’eau pure ; qu’une imprudence pouvait enlever l’homme le plus valide en une demi-heure . Mais beaucoup d’entre eux pleins d’une confiance aveugle dans leur jeunesse ou dans leur tempérament , se promenaient bravement au soleil , puis pour se rafraîchir, avalaient sans sourciller un litre d’eau . Il s’en suivit que tous les jours quelqu’un venait dire au docteur : ‘’ Major , je me sens un peu faible : je crois que j’ai la fièvre ? ‘’ On faisait coucher le malade et une demi-heure après, il avait expié son imprudence et combien aussi succombèrent malgré les précautions , vaincus par un climat inhospitalier et redoutable.






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Tout les bâtiments de la division attendus à Yu-Lin-kan étaient arrivés à l’exception de la Dordogne et de la Fusée. Le 25 Aout enfin la Dordogne arrive pavillon espagnol en tête du grand mât. Le petit vapeur de guerre espagnol ‘’Elcano’’ le suivait. La Fusée arriva peu de temps après apportant le courrier de Hong-Kong . Rien ne nous retenait plus à Yu-Lin-kan . On fit rembarquer les troupes et l’amiral fit paraître un ordre du jour qui annonçait que l’on allait marcher sur Touranne et qui indiquait à chacun le poste qu’il occuperait et le rôle qu’il jouerait . Cet ordre fut communiqué à chaque batiment et on entendit plus que le signal du départ.

Le Dimanche soir 29 Août , l’amiral fit dépasser les mâts de perroquet et annonça qu’on lèverait l’ancre le lendemain matin.








LA PRISE DE TOURANNE









Comme l’avait annonçé l’Amiral , le Lundi 30 Août , la division , forte de 13 bâtiments (1) : une frégate de 52, 2 corvettes à vapeur , 4 transports mixtes, 5 cannonières et l’aviso à v apeur Espagnol, et réunissant en tout 125 bouches à feu pour le combat appareillait à la vapeur et marchait sur Tourane . Le Phlégéton remorquait la frégate amirale ; le Primauguet et les transports , à l’exception de la Meurthe qui naviguait seule, remorquaient chacun une cannonière . L’alarme et l’Elcano se tenaient de chaque bord de l’Amiral prêts à porter ses ordres.

Au bout de quelque temps , le Dordogne signalait une avarie dans sa machine . Elle fut forçée de rester en arrière pour le départ, la brise étant trop faible pour lui permettre de nous suivre à la voile .



Le reste de la Division continue sa route et le mardi à 8h15 du soir , elle mouillait à l’entrée de la rade de Touranne. Le lendemain 1er Septembre , au point du jour, chaque bâtiment levant son ancre vient s’adosser à une encablure et demi des forts.

Le Némisis, la Saône et la Gironde présentèrent le travers au fort de l’Observatoire .


Le Phlégéton et le Primauguet furent chargés du fort du Nord . L’Avalanche et le Dragonne du fort de l’Aiguade

Pendant ce temps là , la fusée l’Alarme, la Mitraille et l’Elcano se disposaient à battre les forts de l’Est et de l’Ouest à l’entrée de la rivière





Lorsque chaque navire fut à son poste, on fit le branle bas de combat . On ne devait ouvrir le feu que lorsque l’amiral hisserait le pavillon national au grand Mat . Une embarcation parlementaire fut envoyée au fort de l’observatoire avec Mr Le Capitaine de Frégate Ribourt qui portait la sommation de rendre les forts . La lettre dictée par l’Amiral avait été traduite et écrite par le Père Legrand qui accompagnait Mr Ribourd comme interprète.



En arrivant à terre le père Legrand dit aux premiers cochinchinois qu’il rencontra ‘’ Voici une lettre pour vous autres ; dépéchez vous d’en prendre connaissance ; c’est pour une affaire importante. ‘’ Ceux-ci répondirent qu’ils n’étaient pas assez instruits pour lire cette lettre , qu’il fallait qu’il s’adresse aux chefs , lesquels n’étaient pas à Tourane . ‘’ Mais , leur répondit le père Legrand, il y a bien un chef qui commande le fort ? Eh Bien, portez-lui cette lettre et lestement parce que c’est une chose sérieuse et qui vous touche de près ! ‘’ Comme ils n’osaient pas le prendre , on le plaça sur un petit mur et on se retira . Le Père Legrand en s’éloignant se retourna pour leur dire : ‘’ Hatez vous ! je vous le conseille : croyez moi. !

L’embarcation revint à bord et raconta ce qu’il s’était passé . On fut déjeuner.







Deux heures après , c'est-à-dire à 10 heures , la reddition n’était pas faite : le pavillon national monta au grand mât et le pavillon espagnol au mât de misaine. Au même instant , le fort de l’Aiguade ouvre le feu , et tous les bâtiments commencent la Cannonade . Les embrasures des forts volent en éclats ; les obus éclatent sur tous les points , faisant sauter la terre et les murailles . Bientôt la fumée dérobe à nos yeux la terre et les navires environnants . La Saône reçoit dans son mat de misaine , à la hauteur de bastingages un boulet qui sans le couper, le met hors service et fait voler les éclats de bois sur la tête du commissaire . Le Phlégéton a son étambot entamé , chose inouîe , à 1 M au dessus de la flottaison ; les projectiles ennemis tombant çà et là ; mais les forts sont mal servis et en tirent que lentement , mais les canonnières tirent à 2500 m des boulets ogivaux et des obus tandis que les boulets cochinchinois tombent impuissants au milieu de leur course . au bout d’une demi heure environ, le feu de l’ennemi est éteint. On amène les pavillons de Tête de mât , la cannonade casse et les navires et la terre sortent peu à peu de la fumée qui se dissipe .

Les cannonières cependant continuent le feu du côté de la rivière où l’ennemi tire encore quelques rares coups de canon.



Les canots armés en guerre sont accostés ; les troupes et compagnies de débarquement s’y précipitant à la hâte , mais en ordre lorsque Soudain une effroyable détonation retentit…. Un obus vient de tomber dans la poudrière du fort de l’Est et a produit cette explosion tout à la fois épouvantable et magnifique . Un gigantesque panache de fumée blanche sort des entrailles de la terre, monte majestueusement vers le ciel en déroulant sa cîme , et ayant atteint les nuages avec lesquels il se confond, devient immobile semblable à une colonne qui soutient la voute céleste.



Déjà une nuée d’embarcations chargées de soldats et de matelots sillonnent la rade faisant force de rames vers les différents points de la plage . Le Chef d’Etat-Major le premier saute dans l’eau jusqu’aux genoux et, suivi du détachement désigné pour donner l’assaut à l’observatoire , court sur le fort et y arbore le pavillon francais . L’Amiral de son coté entre dans le fort de l’Aiguade et le désigne pour son quartier général . De tous côtés , les cochinchinois sont culbutés et mis en fuite ; les moins lestes sont fait prisonniers ; les forts sont envahis ….. Nous somme maîtres du terrain.



Sur ces entrefaites la Dordogne arrive. Elle mit immédiatement ses troupes à terre et le camp fut formé à la hate . La journée se passe sans nouveaux incidents ; ‘elle fut employée à relever les blessés et à couler les morts au fond de la rade . Les canonnières avaient ordre de tirer toute la journée . Vers 4 h du soir , on leva ; l’Amiral monta à cheval et les troupes en ordre de marche se dirigèrent vers la ville de Touranne qui est située de part et d’autres de l’embouchure de la rivière. Les cases étaient abandonnées , tout avait fui. On campa de nouveau près de la ville , sur l’Isthme qui relie la presqu ’ile Thien –Tcha au continent et cet emplacement fut définitivement choisi pour l’assiette du camp qui reçut le nom de Camp de Touranne .



Le lendemain matin au point du jour , le chef d’Etat-Major se rendit au fond de la baie et sonda sur la côte afin de trouver pour les canonnières un mouillage qui leur permit de tirer commodément sur le fort de l’Ouest . Il les embossa et fit commencer le feu vers 8 h du matin . A 9 heures moins un quart , une poudrière sautait et les débris enflammés projetés dans cette explosion mettent le feu à une seconde Le fort est évacué Les compagnies des canonnières descendent à terre et la prise de possession de ce fort par nos matelots , couronne notre œuvre

Nous voilà donc complètement maîtres de la position. Les forts sont occupés partout ; un camp est établi et les embarcations armées en guerre, ont été mouillées à l’entrée de la rivière.





La prise de Tourane n’est probablement que le commencement de notre œuvre en Cochinchine ; œuvre qui sera longue et pénible à cause des difficultés qui nous séparent de Hué la capitale de l’Empire Annamite. Il paraîtrait insensé , au premier abord , de vouloir avec quelques navires et une poignée d’hommes , prendre une ville fortifiée à la Vauban par des ingénieurs français , défendue par des milliers d’hommes situés à des lieux dans l’intérieur des terres mais nos marins et nos troupes de marine ont déjà fait voir ce qu’ils pouvaient et lorsque, par la pensée, on se reporte à Canton , au Paî-ho, il semble que cette mémorable parole du premier Empereur : ‘’Le mot impossible n’est pas français ‘’ ait été faite exprès pour la Division navale Française de l’Indo-Chine.



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LA LETTRE DU MANDARIN










Le gouvernement de Hué n’ignorait pas ce qui se passait à Tourane . De nombreux espions le tenaient au courant de tous nos mouvements . Il avait bien envie de nous demander un peu ce que nous lui voulions mais ils avait que nos sentinelles tiraient sur toute forme Cochinchinoise qui apparaissait à l’horizon . On ne pouvait donc envoyer de messagers et il s’abstint .

Pendant que ces choses se passaient, le camp de Touranne poursuivait son service journalier et le temps était employé à exercer les troupes . Le matin , promenade militaire ; dans la journée repos ; quand le soleil baissait , exercices d’artillerie et d’Infanterie ; école de tir et de bataillon. Le soir , appel et extinction des feux . Naturellement, il était défendu à tout homme , comme il est d’usage en pareil cas, de dépasser les avants-postes , mais si la discipline militaire est sévère , l’appât de la maraude est bien puissant . La preuve en est qu’un jour deux matelots manquaient à l’appel du soir. 4 ou 5 jours après, ils n’étaient pas revenus. Enfin au bout de quelques temps, on vit arriver l’un d’eux qui portait une lettre pour l’Amiral et raconta ce qui suit :





‘’ J’étais avec un autre matelot à me promener par là autour du camp, lorsqu’une troupe de cochinchinois parut tout à coup . Nous étions tous les deux seuls , et à nous d’eux nous n’avions pour toute arme que mon sabre baîonnette . Mon matelot m’arracha le sabre et, ne me laissant que le fourreau se mit à bucher sur les Cochinchinois De mon côté je m’armai du fourreau de métal et je me mis en devoir de taper aussi dessus . Mon matelot en avait déjà estourbi quelques uns , et nous avions réussi à nous faire jour au milieu d’eux .


Nous courrions du côté de la rivière , lorsque tout à coup mon matelot reçut une balle dans le dos et tomba. Je me mis à courir plus fort et pendant qu’une partie des Cochinchinois coupa la tête à mon camarade, l’autre partie me poursuivait . Je me jetai alors dans la rivière et je nageai un bon coup , me laissant dériver au courant. Mais ‘’ les enfants de chiens’’ sautèrent dans des pirogues et m’atteignirent bientôt. J’évitai quelques temps leurs coups d’Aviron en plongeant , mais à la fin ils m’en envoyèrent un droit sur la tête, que j’en ai encore la marque, et je me sentis déhalé au sec.


Quand je fus remis, j’étais à terre au milieu d’eux . Alors on me crocha et on m’emmena je ne sais où .


Enfin, ce qu’il y a de sur , c’est qu’on me présente à une espèce de mandarin qui me fit mettre dans une cage en fer aux barreaux de laquelle on attacha la tête de mon matelot . Le mandarin donna une lettre à des hommes qui furent chargés de m’escorter ; car on fit appareiller la cage et on me conduisit comme cela jusqu’à l’endroit ou l’on m’avait pris .


Depuis qu’ils m’avaient amariné , ils ne m’avaient rien donné à manger , excepté un peu de riz pour que je ne tourne pas de l’œil. tout à fait . Arrivé à destination, on me fit sortir de la cage, on me donna la lettre et on me dit de la porter au chef des français , en me recommandant de bien regarder où était la cage , pour le dire à mes camarades dans le cas où ils voudraient aller chercher la tête de mon matelot qui y était toujours pendue.


Voilà comment je suis ici . C’est de la veine qu’ils aient eu une lettre à faire porter car sans cela , mon décompte aurait été vite réglé . Ca ne fait rien : je dois tout de même une fameuse chandelle à St Chançard . Pour lors, donc, je mangerai bien quelque chose et je sens mon estomac , qu’un coup de croc ne me ferait pas de mal . ‘’




La lettre était écrite en caractères Cochinchinois ; le père Legrand fut chargé de la traduire . C’était le mandarin de Quang-Nam et Quang-Ngoai (1) qui adressait au chef des OUALLAN ( habituellement pour les portuguais cette désignation mais cela désignait bien l’Amiral de l’Expédition Française dans ce cas) de vifs reproches sur la manière dont il s‘était conduit .




‘’ Aussi haut qu’il pouvait remonter dans l’histoire , disait il, il ne voyait que des actes de bienveillance et de générosité de la part de la Cochinchine envers les Européens . La France et la Cochinchine étaient d’ailleurs trop éloignés l’une de l’autre pour qu’il existât des griefs sérieux . En somme il désirait bien savoir pourquoi nous étions entrés à Tourane comme des voleurs ; pourquoi nous avions détruit des forts et occupé un terrain qui ne nous appartenait pas . J’ignore complètement vos intentions ajoutait il , mais depuis que vous avez forçé la barre et les forts de Pei-Ho, rien n’égale votre impertinence ; vous vous croyez tous des héros ; il n’y a cependant pas tant à se glorifier pour avoir essuyé le feu de forts non armés que l’on a jamais songé à défendre Après ce fameux exploit , vous vous imaginez pouvoir entrer à Hué de la même façon Eh bien ! essayez ; nous y avons une armée prête à vous recevoir. Quelque soit d’ailleurs l’issue des affaires , lors même que vous triompherez , vous ne devez pas attendre beaucoup de gloire d’une guerre commencée par un acte de piraterie car pour être juste une guerre doit avant tout être juste et s’appuyer sur des motifs équitables ‘’




(1) La Cochinchine est divisée en 10 provinces et 17 préfectures . Touranne que les cochinchinois appellent Hân est situé dans la province de Quang-Nam ou Phu-Cham Un même mandarin militaire gouverne cette province et la province voisine de Quang-Ngonf depuis que le Mandarin de Quang-Nam a été cassé pour avoir laissé prendre Tourane .









La réponse de l’Amiral fut portée dans une case sur le bord de la rivière . ‘’ Si le grand Mandarin de Quang-Nam et Quang- Noaî veut connaître l’effet qu’il a produit , il n’a qu’à l’envoyer chercher. Elle lui apprendra que :

Lorsqu’il aura une question à faire , et qu’il désirera une réponse , il lui faudra tâcher d’être moins grossier ‘’.

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EXPEDITION MILITAIRE EN RIVIERE









Depuis quelques jours le bruit se rependait qu’une armée arrivait de Hué par petits détachements qui se disséminaient dans les montagnes et ralliaient un camp formé sur le bord de la rivière à 3 ou 4 miles dans l’intérieur . L’Amiral, sur les rapports qui lui en furent faits, fit appareiller l’Alarme avec l’ordre de parcourir la côte occidentale et de canonner tout ce qu’elle verrait passer de troupes. L’Alarme battit la cote deux jours entiers pendant lesquels elle tirait de temps en temps sur des groupes qui apparaissaient çà et là dans la montagne, mais qui ne présentaient aucun caractère hostile.


Les compagnies de débarquement furent renvoyés à leurs bords et les troupes se mirent en marche pour rejoindre l’Aiguade. Le camp espagnol fut formé derrière l’Observatoire. Le camp français fut établi sur un plateau qui domine l’Aiguade, et ou l’Amiral fixa son quartier général . La Batterie Labbe , alors complètement armée protégeait nos positions sur la presqu’ile contre toute attaque venant de l’extérieur.


L’Amiral voulait savoir à quoi s’en tenir sur le prétendu camp cochinchinois . Il méditait une expédition qui fut fixée au 6 Octobre.


Au point du jour huit embarcations remontèrent la rivière . Des barrages et plusieurs batteries avaient été installé par les Cochinchinois . Un déluge d’Obus s’abbâtit sur les batteries prises à revers .

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Enfin le combat cessa faute d’ennemis . On prit 2 jonques qui se trouvaient à une ou deux encablures de là , et comme le jour baissait on descendit la rivière jusqu’au point de départ. D’où chacun rejoignit ses foyers.


En résumé sur un total de 1200 ennemis que nous avoins rencontré nous en avions tué 150 ou 200 . Ils avaient des canons , ils avaient des fusils et ils s’en sont activement servis contre nous. Ils nous ont blessé en tout un Tagal qui a reçu une balle en écharpe dans la jambe droite , au moment, ou se penchant en avant, il l’allongeait pour tirer. Ils avaient 2 batteries juste à la hauteur du 2ème barrage. Au lieu de tirer sur nous lorsque nous étions arrêtés pour nous empécher de forcer le passage, ils nous laissent bien tranquillement écarter les obstacles, et quand nous sommes tous passés , ils commencent le feu !


Nous pouvons donc être tranquilles dans nos retranchements et nous mettre en toute sécurité à écrire à nos parents car le Scotland va partir le 8 .








LETTRE DU CHIRURGIEN QUI A SOIGNE ET ASSISTE AUX DERNIERS MOMENTS
DE L’ASPIRANT ALFRED THEIL









Tourane 28 Juillet 1859.




J’hésite à prendre la plume , mon cher Jules, mais il le faut bien ; car je t’avouerai que je n’ai pas eu le courage d’écrire moi-même à Mr Theil . Ce préambule a pour but de t »annoncer une catastrophe , un grand malheur qui vient de frapper la famille de Mr Theil devenue la tienne aujourd’hui . Le pauvre Alfred est mort à bord de la Némésis, le 23 Juillet à 2 Heures du matin , d’un accès de fièvre intermittante aux avant-postes, endroit infect , qui nous a fait perdre la meilleure partie de nos troupes . Nous l’avions soigné plusieurs fois à bord de la frégate , mais à peine rétabli, il nous fut impossible de le retenir , c’est en vain que j’usai de toute mon influence pour qu’il restât à bord. Là du moins , il était à l’abri des miasmes . Des avant- postes il avait été dirigé sur la rivière , où il commandait une batterie d’obusiers . La fièvre ne le quittait guère, et il faut dire qu’il n’y faisait pas grande attention. A l’affaire du 8 Mai il s ‘était conduit avec beaucoup de bravoure ; on l’avait proposé pour la Croix . Depuis ce moment il n’aurait pas quitté son poste pour rien au monde et ce poste était un endroit infect, d’où nous venaient la plupart de nos malades qui venaient mourir à bord .


Depuis le 8 Mai il était revenu à bord une troisième fois , pour se faire traiter , mais à peine rétabli, il nous fut impossible de le retenir plus longtemps à bord ; tous les raisonnements venaient se briser contre une volonté arrêtée . D’ailleurs l’Amiral était au camp avec ses troupes et là était le danger.

Je restai quelques jours sans avoir de ses nouvelles, mais je savais qu’il avait toujours la fièvre. Le 19 j’allais au camp en service et je trouvai ce pauvre enfant très changé , et atteint d’une fièvre atroce qui ne le quittait plus .

Je donnai l’ordre qu’il fut dirigé sur la frégate ; il n’y arrive que le lendemain 20, dans un état déplorable , la tête en feu, la fièvre et un délire constant . Nous parvinmes à lui faire accepter quelques soins , non sans peine , car il ne voulait pas se soigner , et n’écoutait que moi . Les principaux accidents disparurent, mais le délire persistait, ainsi qu’une exaltation cérébrale , des plus intenses . Le 21 la fièvre cessa, mais le délire n’en continua pas moins . Nous continuâmes la médication la plus active . Le 22 au matin la fièvre avait reparu aussi forte que les jours précédents , les accidents nerveux ne faisaient qu’augmenter . Nous avons usé de toutes les ressources de notre art. Dans la nuit du 23 à minuit, les convulsions commencèrent .
J’envoyai chercher le père Croq missionnaire du Tonquin, qui lui administra les derniers sacrements .


Enfin après une courte agonie, il expira à 2 Heures du matin. Il a eu pendant sa maladie les soins les plus minutieux . Nous ne l’avons pas perdu de vue un quart d’heure , mon second ou moi. Un infirmier et un domestique étaient toujours auprès de lui. Tu pourras dire à la pauvre mère, si cela peut être pour elle une consolation, que je lui ai fermé les yeux , et qu’il n’a été touché par personne que par moi ou mon second . Nous l’avons enseveli à nous deux et l’avons traité comme ojn fait d’un frère ou d’un père. Il repose avec beaucoup de ses amis, sur tertre qui domine la rade de Tourane .



On lui a rendu tous les honneurs compatibles avec notre position. Il y avait beaucoup de monde à son enterrement . Une pierre de granit , portant ses noms et qualités, va s’élever sur sa tombe . Son ami intime Mariot , s’est occupé avec beaucoup de sollicitude , de toutes ses petites affaires, tout a été réglé , et l’on enverra par la plus prochaine occasion ses effets et ses livres. Mariot voulait écrire à Mr Theil ; je l’en ai dissuadé , prèférant que ma lettre arriva la première . Ta position dans la famille te permettra de ménager ces braves gens qui en ont grand besoin. Sois mon interprète auprès de cette pauvre famille et fais leur accepter mes bien sincères compliments de condoléances . Dis leur encore que pendant son délire ce pauvre enfant causait de sa famille, de vous tous mais ce qui dominait le tout, c’était une exaltation cérébrale à propos de sa croix , des attaques en rivière, de l’Amiral, etc….



Ce pauvre Alfred m’est arrivé foudroyé et très probablement il aura aggravé ses fièvres par quelque insolation , maladie qui ne pardonne jamais ici. Tu comprendras aisément qu’à l’age d’Alfred , alors que l’on a la fièvre incessamment , la vie des camps sous la tente avec tous les oublis de l’hygiène qu’elle entraîne forcément avec elle n’est pas faite pour amener à bien une infection paludéenne qui datait au moins de six mois . Les deux derniers mois qui viennent de s’écouler nous ont enlevé plus de 300 hommes , morts la plupart de la même manière que ton pauvre Beau Frêre .



C’est une grande perte que vient de faire la famille . Mieux que personne je me met à sa place , et je comprends tout ce que sa douleur a de poignant et d’atroce . Les épisodes de ce genre ne sont que trop fréquents dans cette horrible contrée .



Si l’occupation de la Cochinchine continue nous y resterons tous . Enfin, il faut s’armer de patience et de résignation et se borner autant que faire se peut . Voilà bientôt trois ans que je suis en Chine , et je t’assure mon cher Jules que j’ai souvent assisté à des spectacles semblables à celui que je viens de te raconter.


La mort de ce pauvre Alfred a jeté beaucoup de tristesse parmi nous . c’était une bonne nature. Il n’avait qu’un défaut , c’était la jeunesse, mais il rachetait le tout par d’excellentes qualités que j’appréciai mieux que personne . Dis à la famille Theil que je mêle mes larmes aux siennes et que j’ai ressenti bien douloureusement le coup qui l’a frappée . Rien ne saurait adoucir une pareille douleur ; le temps seul peut en adoucir l’amertume en vous laissant de ceux qui ne sont plus, un pieux souvenir . Qui peut prévoir ce qui nous est réservé ici ? Il est impossible de dire quelle sera la fin de cette question de Cochin-chine ? Et pourtant nous restons exposés à tous ces fléaux qui frappant brutalement à droite et à gauche .




Adieu mon cher cousin, embrasse de ma part tous les moutards que je ne connais pas, et renouvelle à ta femme les sentiments de profonde douleur que j’ai partagés avec tous les siens .




Je te serre bien affectueusement la main, et suis pour la vie



Ton bien affectueux cousin


J. De Comeyran


Hong-Khong (Chine)