Pierre Goybet : L’ Italie au rythme des diligences et premiers trains. .Entrevue avec le pape
L’ ITALIE AU RYTHME DES DILIGENCES ET PREMIERS TRAINS
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Lettres de Pierre Goybet et Irma sa femme lors de leurs 2 voyages en Italie de 1858 et 1866 . Pierre Goybet est le frêre de Charles Goybet , le futur General de cavalerie et de Laurent Goybet futur grand juge de Monaco , Oncle de Mariano . Ces lettres nous ont été rapportées par Henri Putz
Visiter L’Italie est aujourd’hui facile , des agences de tourisme peuvent guider vos pas, mais il y a un peu plus d’un siècle c’était une véritable expédition, pleine d’imprévu . C’est ce que nous permettent de connaître les lettres de deux Savoyards , Mr Pierre Goybet et sa femme qui allèrent de Gêne , Florence et Rome en 1859 ( donc avant l’unité Italienne ) et poussant jusqu’à Naples en 1865, s’arrêtèrent durant la semaine Sainte à Rome , pour peu de temps encore ‘ Etat de l’Eglise’.
Pierre Goybet fait partie d’une famille de notables d’Yenne dont son pêre est alors maire et dont il sera conseiller général. Il a étudié le droit à Turin avant d’être avocat à Chambery . Il avait épousé Irma Desarnod de Cognin mais ils n’eurent pas d’enfants .
Nos deux voyageurs sont des touristes infatigables, visitant avec conscience tout ce que mentionnent les guides ( monuments, églises, catacombes, sites célèbres, n’hésitant pas à faire une pittoresque excursion du Vésuve en 1885) et ce sont aussi des pèlerins assistant à des cérémonies au Vatican, obtenant une audience privée de Pie IX , voyant d’innombrables reliques Ils sont assez riches pour louer des appartements dans de belles avenues ou Corso, et pour ne se déplacer pratiquement qu’en voiture, mais les conditions des deux voyages changèrent beaucoup entre 1858 et 1866 :
Celui de 1858 (15 Août- 6 Octobre) est rendu difficile par les multiples frontières , par leurs formalités plus ou moins arbitraires, par la concussion fréquente ( abus des ‘ bonnes mains’) et la sécurité imparfaite , par l’obligation de combiner les modes de transport différents .
- Train : (1)Chambéry- St Jean de Maurienne ; (3)Susa – Turin -Gênes ; (6) Lucques- Florence -Pisa -Livourne
- Diligence : (2) Saint Jean – Susa ; (5) La Spezia - Lucques ; (8) Civita Vecchia – Rome
- Bateau : (4) Gênes – La Spezia ; (7) Livourne – Civita Vecchia
Au retour, Civita Vecchia - Gênes en Bateau , la diligence n’étant utilisée que pour gagner Civita Vecchia et traverser le Cenis .
En 1885, le train unit Turin à Florence par Bologne et Rome à Naples, restant encore la coupure Florence- Rome et celle du Cenis , et le voyage est plus rapide ( 18 Mars 1866-21 Avril ) d’ autant plus que Florence et Rome ont été déjà vus .
Il est fait en groupe avec un Oncle, une tante et des amis Joseph et Alice . Nos deux touristes écrivent régulièrement à Mr Desarnod , les parents d’Irma Goybet ; ceux-ci ont soigneusement conservé les lettres que Madame Finet m’autorise à Publier .
Ecrits à la hâte, sur les lieux - mêmes, elles ont la valeur d’instantanés ; les impressions jaillissent, les détails s’accumulent , en particulier sous la plume d’Irma que tout intéresse : Monuments anciens, églises, paysages, costumes, modes , vie mondaine, animation de rues ; les descriptions sont d’autant plus précises qu’elle est certaine d’intéresser sa mère. Pierre écrit plus brièvement et plus rarement ; il aime un pittoresque qui n’a pas la simplicité de celui de sa femme : Ainsi sa description de la tempête, son indignation contre les hôteliers et surtout leur montée au Vésuve ! Il aime plaisanter, faire des jeux de mots, mais très souvent les mêmes phrases apparaissent dans des récits parallèles , il y a peu de désaccord entre eux et ceci à permis de publier le plus souvent qu’un récit unique, complèté par quelques phrases intéressantes de l’autre correspondant.
Mais si nous avons à faire à deux personnes qui savent voir et décrire, quelle philosophie politique et religieuse ressort de ces lettres ?
Les notations politiques absentes en 1866 sont rares en 1858 mais sont franches et critiques .
‘ Jusqu'à présent (Ils sont alors à Rome) , la vue et l’organisation des gouvernements de l’Italie nous a fait véritablement regretter notre gouvernement. modèle Piémontais ( traduction de la formule : le ‘buon governo’ ) ; c’est sans plaisanterie qu’on peut le dire en les comparant ensemble ’ (Irma ) et les exemples de police tracassière à Florence , Livourne , Civita Vecchia sont probants ; la sécurité ne règne pas, en particulier dans la campagne romaine ; à part les ports comme Gênes et Livourne , les villes sont mortes sauf en hiver quand les grands propriétaires sont revenus de leurs villes rurales avec leurs beaux équipages et quand les touristes et pèlerins profitent de la clémence du temps.
Le grand Duc et la grande Duchesse de Toscane sont décrits sans complaisance et comme des souverains fantoches ‘ à présent que le gouvernement autrichien dirige’….. ‘ il parait que ce gouvernement n’est pas très apprécié ‘ ; Pierre lui reconnaît le mérite de faire de Florence une ville propre et de redonner vie aux vieux palais . A Rome est loué l’effort de Pie IX pour mettre en valeur la ville antique ( fouilles, aménagement du Colisée) mais ‘tout est en retard’ de 15 ou 20 ans ‘ la saleté est générale , la malaria sévit, le linge des particuliers est étendu jusque sur le Capitole. Pas un mot sur l’unité italienne en 1858 et 1866 et cela surprend ! On ignore tout de la question romaine
Pèlerins en même temps que touristes, très attentifs à visiter toutes les reliques avec une candide incrédulité, ils ne sont édifiés ni par le nombre des moines ‘ C’est pitié que de voir toute cette population de couvent ’ ( Livourne ) ni par la ville pontificale à la ‘Population dégénérée’ ‘A part la bonne figure du pape, le reste est une véritable représentation’ même les cérémonies religieuses comme le lavement des pieds et le repas de la ‘scène ‘ ( Lapsus qui aurait pu être voulu) ou le cortège pontifical dans les rues de Rome . Pierre en particulier insiste sur le mot ‘ Spectacle’ ‘ curiosité’, sur ces 80.000 étrangers ‘Tous parfaitement dispos, tous arrivés ici pour voir les cérémonies et prêts à tout ……’ renforcés par la population romaine ‘ avide de contempler ces fêtes célèbres’. Aucune vénération particulière pour la papauté , de la sympathie pour la personne de Pie IX ; aucune allusion aux difficultés qu’il rencontre ou à son autorité morale.
LES CHEMINS DE ROME EN 1858
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I ) De CHAMBERY A FLORENCE
De Chambery, nos touristes prennent le train jusqu’à Saint Jean de Maurienne où ils sont reçus à dîner et coucher princièrement par Monseigneur Vibert, leur cousin, avant de prendre une ‘ Très bonne diligence’ pour Suse et de là en train jusqu’à Turin.
1) Le Mont Cenis et son franchissement de nuit
‘ Je n’ai pas été enchantée de la Maurienne surtout depuis Saint Jean qui est cependant beaucoup plus joli et mieux situé que je ne me l’étais imaginé ; depuis Chamousset jusque là, cela passe encore, mais depuis Saint Jean il est difficile de traverser un pays plus insipide. Nous avons encore vu le Fort de Lesseillon de jour. Quand au Mont Cenis, j’ai pu voir à peu près ce que c’était ; j’ai pu distinguer le lac qui se trouve au sommet ainsi que le couvent, les hôtels et la caserne . En descendant, la diligence marche si vite que cela me faisait presque peur ; de dix chevaux que l’on met pour monter, on n’en garde que deux pour la descente et ils le font toujours ventre à terre même en tournant des lacets ; c’était ce qui m’effrayait …. J’ai oublié de te dire que nous avions eu les trois places de coupé pour nous seuls , ce qui fait que nous avons été parfaitement à l’aise pour la nuit….. Il ne faisait pas froid …. Nous n’avons pas eu trop de poussière car il avait plu la veille .’ Irma 17 Août, 6 heures du matin .
2) Turin et sa monotone beauté
‘Turin n’était pas du tout dans son beau moment parce que tous les gens qui ont des équipages sont à la campagne ; les théâtres sont fermés et le soir on voit une quantité de magasins sous les portiques qui ne s’ouvrent plus depuis la tombée de la nuit. Pierre m’a montré les trois palais : celui du roi, le palais Madame et le palais Carignan ….. J’ai trouvé le Musée Egyptien plus beau que celui de Paris ; Turin est une bien belle ville mais lorsqu’on y a passé une journée entière on la trouve monotone ; je suppose que cela provient de l’aspect de ses rues qui se ressemblent toutes et puis aussi qu’en réalité il y a fort peu de monuments à voir .‘ Irma .
3) De Turin à Gênes, une terre de contraste
‘Le chemin de fer de Turin à Gênes passe dans de très jolis endroits ; on peut suivre la colline de Turin jusqu’aux environs d’Alexandrie où elle se termine ; elle est garnie de maisons de campagne depuis un bout jusqu’à l’autre ; le reste du pays paraît assez riche jusqu’à Novi mais depuis cet endroit jusqu’à Bussala où se trouve le grand tunnel que le chemin de fer traverse dans 7 minutes , c’est un pays affreux, on n’y voit qu’une terre roussâtre sur laquelle l’herbe ne peut même pas pousser …..Le chemin de fer traverse les vignobles où croît le fameux vin d’Asti qui a une grande réputation à Turin . Il passe aussi à St Pierre d’Arene …..
Il est impossible de trouver un plus joli pays , c’est là en grande partie que se trouvent les maisons de campagne de Gênes qui sont bariolées de toutes les couleurs ; au point de vue goût, ce n’est peut être pas tout ce qu’il y a de mieux , cependant je trouve que toutes ces peintures à couleurs voyantes font un joli effet dans la verdure qui les entoure …..’ Irma
4) Gênes, une ville animée.
‘ Gênes est une ville si animée que l’on ne peut guère s’y ennuyer . Nous sommes logés sur le port dans un très bel hôtel ….Nous avons un appartement au second ( après l’offre d’un autre au 3ème ou 4ème étage )… On comprend cela ( la prédilection pour les étages élevés ) dans les rues qui sont si étroites que les habitants des premiers étages doivent être forcés d’allumer leurs becs de gaz en plein midi…’ . Suit une visite de la ville , et entre autres églises celle de l’Annonciata ‘qui est très belle…. Nous n’avons pas idée dans nos pays de la richesse de ces églises, les plafonds sont entier couverts de dorures et de peintures , toutes les colonnes, les autels, les dalles, les façades sont en marbre ; on reconnaît bien le goût d’un pays pour les couleurs éblouissantes car ils ont toujours soin d’assembler toutes celles qui se choquent le plus, le vert, le bleu, le jaune, le rouge. Dans la soirée, nous avons été prendre des places dans le plus beau café de Gènes où se réunit la belle société ; il y a une terrasse qui donne sur la rue neuve où passent toutes les élégantes qui se rendent à la promenade de l’Aquasola…. Nous avons fini par les cuivres ….La musique du régiment joue sur une estrade et le beau monde se promène dans les allées …. Nous avons loué des chaises pour voir tout à notre aise, les belles Gênoises avec leurs voiles blancs. Pierre trouve quelles ont toutes l’air effrontées, ce qu’il y a de sûr c’est qu’il y en a de fort jolies et que leur pizzotta ou voile blanc leur donne un petit air coquet qui va très bien aux plus jolies mais les laides le paraissent davantage avec ce costume … Dis au papa Marthe que nous n’avons pas reçu le moindre coup de couteau ni même vu de tentatives hostiles à notre bourse…..’ Irma . Gênes le 19 Août
La ville et son animation ne font pas négliger la visite de l’arsenal, ou bagne et des grottes de Sestri, mais aucun détail n’est donné.
5) Une mauvaise traversée de Gênes à la Spazia
De Gênes, Pierre et Irma voulaient gagner en bateau Livourne, mais ce port étant soumis à une quarantaine de cinq jours ‘ à cause d’une maladie qui règne en Algérie, je crois ‘ ils décident de s’arrêter à la Spazia .
‘Notre traversée a été excessivement mauvaise, au lieu de 4 heures et demi nous avons mis 18 heures par un temps affreux ….J’ai été abasourdie pendant deux jours . Le bateau à vapeur était grand à peu près comme ceux du Rhône ; on nous avait vanté la machine qui avait obtenu un prix à Turin, mais avec le temps que nous avons eu il était trop petit ; nous avons ressenti tous les mouvements du bateau . Je n’ai pas eu peur et Pierre non plus parce que nous avions le mal de mer qui nous abrutissait .’ Irma 22 et 24 Août .
Pierre est encore plus explicite (mardi 24 août) . ‘ Notre pauvre petit bateau était ballotté comme une coquille de noix ….J’étais couché dans la cabine de l’arrière du bateau, derrière le salon, de là j’entendais le pilote tomber à chaque instant renversé par une secousse ; au plus fort de l’orage je me suis traînée à quatre pattes sur le pont et cela en frappant de la tête contre tous les meubles ; le vent était affreux les vagues profondes comme des ravins dans lesquels nous étions précipités….le ciel était presque serein…. ’
La Spazia…’ Figurez- vous le lac du Bourget, coupé à Haute Combe et Saint Innocent, entouré d’une ceinture de montagnes comme celles de Barby mais couvertes d’oliviers ‘ Pierre.
6) Voiture à cheval et train pour Florence
‘ De la Spazia à Lucques il y a 15 lieus, nous avons pris une voiture pour partir à 2 heures . Nous avons traversé un pays très accidenté ; depuis Gênes jusqu’en Toscane, on se trouve entre la mer et les Apennins dont les différentes ramifications viennent se perdre dans les eaux , c’est donc des cols de montagne à tourner ou traverser à chaque instant . La plaine est toujours assez étendue de 3 ou 4 lieus jusqu’à la mer …. A Carrare, le marbre est aussi commun que la molasse à Cognin ; on voit de pauvres échopes dont les croisées, les escaliers et les portes d’ écurie sont en beau marbre blanc. C’est aussi un curieux spectacle que ces montagnes blanches (tout marbre) aussi hautes que le Nivolet… Après avoir passé la nuit à Pietra Santa, nous sommes arrivés à Lucques lundi à 9 heures du matin ; nous avons parcouru la ville qui est très grande, assez belle et remarquable par les églises que nous avons toutes visitées. A 4 heures nous partions par le chemin de fer et à 8 nous arrivions à Florence…’ Pierre.
II – FLORENCE , PIZE ET LIVOURNES
1) Un logement charmant à Florence
Mari et femme sont d’accord pour se féliciter de leur logement à Florence . ‘Il y a une chose terrible en voyage, c’est de se voir dupé, tondu de la manière la plus éhontée dans tous les hôtels. ’ Pierre.
Irma Confirme…… ‘Nous avons voulu essayer un système que l’on emploie beaucoup dans ce pays : ce sont des chambres garnies que l’on loue à tant par jour pour un nombre de jours déterminés ; outre cela, le locateur s’engage à fournir le service qui vous est nécessaire. Nous sommes enchantés de notre nouveau domicile, c’est une très jolie chambre à deux lits placée dans le centre de la ville, sur la place de Sainte Marie Majeure . C’est une très belle maison qui a un escalier plus large encore que celui de l’hôtel Chateauneuf et qui est distribué comme un hôtel . Nous avons toujours un domestique à nos ordres … Il se trouve que le maître de la maison a été le grand Ducco de sa majesté ; en sorte qu’il s’est chargé de notre cuisine . Il la fait très bien ……Il parait que ce système d’hôtel garni est adopté par tous les étrangers qui passent quelques jours ici…. Avantage ….On ne paye que ce que l’on emploie en réalité . Par exemple on vous donne deux bougies ….. Vous ne payerez que vos deux bougies et non pas 31 par soirée pour votre éclairage comme cela nous est arrivé dans tous les hôtels ….
(Imagine- toi que dans plusieurs hôtels où nous n’avons fait que passer une nuit et prendre un bouillon en nous couchant ou en nous lavant, nous n’avons jamais été pour moins de 18 à 20 L…..’
Pierre qui ajoute à la description d’Irma ‘ Un salon peint à fresques, meubles tout neufs, jusqu’aux volets qui sont dorés sur les bords’ écrit ‘devine combien avec tout le linge et le service cela nous revient avec 2 paols ½ ou 28 sous par jour – partout nous payons 4 livres par jour et 1 livre pour le garçon . De plus le maître du Logis a été cuisinier du prince Poniatowski….. Il nous fait un petit ménage de choix et dans les mêmes prix..’)
2 ) Florence, ville animée et bien tenue .
‘Florence est une grande et magnifique ville….’
‘Nous avons été ce soir nous promener dans la grande promenade de Florence, le Corso ; c’est vraiment comme à Paris ; il y a d’immenses équipages ornés de 2 ou 3 laquais ; comme la plupart des Florentins sont très riches et qu’il n’y a pas de commerce dans la ville, il s’y trouve par cela même beaucoup de désoeuvrés, ce qui est une grande cause de l’animation que l’on voit dans les rues, surtout dans celles qui avoisinent notre hôtel qui est dans un endroit très gai’ ‘c’est sous nos fenêtres un roulement perpétuel’.
‘….Nulle part le système des citadines n’a été porté au point de perfectionnement comme ici soit par la qualité des voitures soit pour leur quantité . On voit encore grand nombre de petits équipages ….Des voitures légères comme un souffle emportées par des cerfs qu’on appelle chevaux de la Marenne, bouillants comme les chevaux Corses mais de moitié plus gros ; on en voit ici une infinité avec un harnachement plein de goût.’
‘Florence, jusque dans les plus mauvaises rues, est callée comme une cathédrale avec des blocs de pierres énormes et enchassés comme de la mosaïque. Je ne puis concevoir comment les chevaux ne se cassent pas le col ; quant aux piétons c’est délicieux , ni poussière ni boue ; la ville est du reste très propre . Il y a tous les jours des gens occupés à la balayer.’
‘….Les richesses artistiques de Florence feraient la gloire d’une grande nation, les monuments publics sont très bien entretenus et le grand Duc fait achever quantité de monuments commencés il y a 4 ou 5 siècles, les autres sont restaurés à grands frais . Il est en cela bien inspiré car la ville devait être joliment triste, tous sont barricadés avec d’énormes barreaux de fer ; les murs sont en pierres de taille de toute grosseur où sont attachés de gros anneaux de fer qui servaient à suspendre des drapeaux ; le tout est si noir que je plains bien ceux qui y habitaient autrefois . A présent que le gouvernement Autrichien dirige, il en fait des hôtels de ville, des cours d’appel, de cassation et des établissements publics de toutes espèces.’ Irma
3) Florence ville musée
Irma s’attarde complaisamment à décrire les beautés de Florence .
‘Florence est très habitée, il y a beaucoup de mouvements dans les rues, cependant ce n’est pas une ville de commerce car la moitié des rues sont sans magasins Ce sont les étrangers qui en font la vie : des milliers d’individus vivent à leurs dépens ; dans toutes les rues, chaque étranger est assiégé par des gens qui viennent lui offrir leurs services ou pour visiter la ville, ou pour les conduire en voiture , ou pour lui offrir des bouquets ou de la paille etc….
Enfin on est perpétuellement occupé à s’en débarrasser. En outre dans chaque église, dans chaque monument, dans chaque palais, se trouvent des gens apostés pour servir de guides à ceux qui les visitent . Quelquefois on se laisse prendre par les guides du dehors et lorsque vous arrivez dans un palais ou n’importe où, vous êtes encore obligés de subir les explications d’un de ceux qui sont chargés de faire visiter l’intérieur des monuments, de façon que vous en avez deux qui vous suivent et vous disent la même chose…..’
‘Nous avons visité hier la cathédrale Sainte Maria del Fiore où se trouve le fameux dôme construit par Brunelleschi et qui est plus grand que celui de Saint Pierre de Rome . C’est magnifique à voir, cependant il y a un immense désagrément dans la plupart de ces églises c’est qu’on n’y voit rien, les vitraux sont si chargés de couleurs qu’il est impossible, dans plusieurs, de distinguer les peintures et les sculptures remarquables qui y sont . Nous nous y trouvons au moment de la messe capitulaire et les enfants de chœur avaient une lampe allumée devant eux pour lire la musique.’
‘Nous avons aussi le Campanile et le Baptistère qui sont placés à côté de la cathédrale . C’est si beau que nous ne voulons pas quitter Florence sans en emporter les vues peintes en photographie pour vous en donner une idée bien incomplète , il est vrai, puisque cette église, le dôme et le Baptistère sont bâtis depuis le haut jusqu’en bas en marbre de différentes couleurs , mais enfin on peut juger de la forme et l’imagination aidant on arrive à peu près à en juger.’
Même enthousiasme pour Pierre . ‘J’ai vu le Dôme et le Baptistère, le clocher C’est merveilleux vraiment, tous les rêves sont dépassés et je comprend maintenant Charles Quint qui voulait mettre le clocher dans un étui ; c’est une vrai miniature en marbre de différentes couleurs qui a de 3 à 400 pieds de haut. Le dôme est merveilleux .’ Pierre 24 Août.
‘ Aujourd’hui nous avons visité l’église de Saint Laurent où se trouve la chapelle des Médicis bâtie par Michel Ange et dont il a sculpté toutes les statues que l’on y voit . Nous avons vu aussi l’Eglise de l’Annonciade qui est attenante à un couvent de moines ; sous les cloîtres est peinte la fameuse Madona del Seco : l’église a de très belles peintures et m’a paru excessivement riche . J’ai compté devant une seule chapelle 51 lampes en argent ; l’autel de cette chapelle est aussi tout en argent sculpté par Benvenuto Cellini ; toute l’église est tendue en brocart rouge avec des galons et des franges d’or, le plafond est tout doré, enfin c’est magnifique.’
‘… Puisque tous les édifices publics se ferment à 3 heures, nous dînons entre 4 et 5 heures et après nous prenons une voiture pour faire des courses aux environs…. Fiesole (belle vue, maisons de campagne, murs cyclopéens qui entouraient cette ancienne ville ) . Ceux –ci ont donné , parait il , l’idée de bâtir le palais Pitti avec d’énormes blocs de rochers qui ne sont taillés que juste pour pouvoir se joindre les uns aux autres, tout ce qui est dehors est brut ‘.
Florence est placée dans une vallée dont les montagnes sont très éloignées, ce qui fait que pour peu que l’on monte sur un point élevé on a une vue superbe.
Cependant comme on cultive ici l’olivier …. Je trouve le paysage moins joli car il est d’un moins beau vert que dans les endroits où l’on cultive d’autres arbres . Les maisons de campagne paraissent très riches ; on aperçoit depuis les portails beaucoup de statues et d’objets de marbre qui sont posés dans le jardin . ‘ Irma 27 Août.
Il est curieux de constater que Laurent, frêre de Pierre, passant dans la région en novembre 1869 relate des impressions semblables, et il décrit Florence .
‘Les rues sont étroites mais si bien pavées, si bien éclairées, si parfaitement propres que je les préfère à toutes les avenues magistrales de Paris, les magasins n’offrent pas au coup d’œil ce clinquant, cet art d’étalage qui tentent les promeneurs, mais le dernier petit objet, la toile la plus microscopique valent mieux que toute la devanture, que la toile la plus gigantesque d’un marchand français.’
4) Le gouvernement et la population de Florence
‘La veille de notre départ de Florence, j’ai assisté dans l’église du Dôme à une grande cérémonie qui a eu lieu à l’occasion de l’anniversaire de la naissance du premier fils du roi d’Autriche . J’ai vu le Grand Duc et la Grande Duchesse avec leur cour ; le Grand Duc est un vieux qui ressemble beaucoup à notre intendant Franchi ; la Grande Duchesse qui est sa seconde femme n’est pas jolie et salue d’un air très impertinent ; elle avait du reste de très beaux diamants et une très belle toilette de même que les dames d’honneur .’
‘Il paraît que ce gouvernement n’est pas très apprécié ici, mais il est difficile de pouvoir juger de l’opinion publique par les journaux , car on n’en voit aucun, pas même dans les cafés ……Pierre a voulu en avoir un , le maître du Café a fini par lui sortir un ‘journal des débats’ qu’il tenait fermé dans un tiroir…… Pierre était allé chercher sa canne laissée à la gare. Un agent de police lui a demandé son passeport parce que, lui a t’il dit , les étrangers ne pouvaient pas sortir de la ville sans l’avoir sur eux ; sur la réponse de Pierre qu’il ne sortait pas de la ville et qu’il avait laissé son passeport à l’hôtel de ville, il l’a laissé passer mais à son retour il a été arrêté une seconde fois par un autre agent .’
‘C’ est très curieux comme tout le monde ici veut suivre la mode française ; non seulement il n’y a pas de costume national dans les personnes comme il faut , mais encore toutes les femmes de chambre ou les paysannes portent le chapeau Français, plus ou moins sale ou ridicule , et dans toutes les classes de la société, les costumes sont si bigarrés que je n’ai pas encore pu m’habituer à leurs assortiments de couleur ; cette fureur de vouloir singer les Français exaspère Pierre et il trouve qu’au moins les dames avec leurs goûts pour les couleurs éclatantes devraient avoir un costume qui eut un cachet particulier. Contrairement aux Gênoises, les dames de Florence sont presque toutes maigres et laides , je m’étais figurée tout le contraire Aussi j’ai eu des désillusions de ce côté-là de même que sur celui du ciel bleu pour le moins aussi pâle qu’en Savoie ‘.
L’impression générale . Une ville animée par une oligarchie sans activité économique est donnée par une allusion d’Irma aux fontaines de la ville ‘qui ne coulent que goutte par goutte dans des gueules d’animaux marins et sur des ornements de bassins magnifiques.’
5) Pise, la cité morte, contraste avec Livourne
Pour gagner Rome, nos voyageurs vont s’embarquer à Livourne car ‘On nous dit que quelquefois les routes de Florence à Rome ne sont pas très sûres’ Irma.
D’autres part écrit Pierre ‘Les bateaux vont reprendre leurs services réguliers , toutes les quarantaines ont été supprimées’ et il parle de Pise.
‘Le chemin de fer de Florence à Livourne passe par Pise la fameuse république , nous nous sommes arrêtés 5 Heures pour en visiter les monuments …. Pise n’offre rien de remarquable, à part le Baptistère, le Campo Santo qui est grand comme la moitié du jardin ; il est en forme
de carré , une partie est recouverte par ces portiques qui l’enveloppent de toute part et sous lesquels sont élevés grand nombre de monument ; tous les murs intérieurs sont couverts de cercles très endommagées d’une verve incroyable On y voit l’enfer divisé en 7 cercles comme dans le Dante . Le peintre s’y est plu à le peupler de religieuses et de moines dodus . Il avait ma foi raison car c’est une pitié que de voir toute cette population de couvents ….’
Irma est moins explicite sur cette ‘ville si triste surtout quand on sort de Florence …. Leur tour penchée, leur baptistère et leur cathédrale ne m’ont pas frappé du tout , la seule chose qui m’a fait plaisir c’est de voir le Campo Santo ancien cimetière ….Il est fait comme un cloître qui entoure un petit morceau de terre qui est formé en entier de la terre sainte apportée de Jérusalem sur des chameaux .’
Nos voyageurs sont d’accord sur Livourne ‘’Une très belle ville moderne où il y a beaucoup d’animation comme dans tous les ports de mer ; nos fenêtres donnent sur un des bassins qui entourent la ville comme au Havre, il y a de plus un très beau port ….’ Irma.
‘Livourne est une très grande ville , on a du plaisir à ‘y retrouver l’animation que donne le commerce . Le port est immense et contient beaucoup de vaisseaux, seulement les travaux de fortification empêchent qu’on puisse jouir du coup d’œil de la mer. Contrairement à Gênes il y a ici de grands bassins en forme de canaux qui coupent une partie de la ville . C’est là que sont amenés tous les vaisseaux que l’on répare…. La ville est très grande, fort bien bâtie, rues longues, alignées, pleines d’activité et de vie ; je préfère pour l’agrément les villes modernes, il y a peu d’anciens monuments mais on sent la vie qui déborde partout .’ Pierre.
6) Les tribulations du voyage
‘ Les tribulations du voyage’, c’est ainsi que Pierre parle des chicanes administratives dans l’Italie d’alors longuement racontées par Irma. Pour quitter Florence , Pierre veut aller prendre ‘la feuille de papier que l’on donne en entrant dans la ville pour remplacer le passeport que l’on vous confisque jusqu’à votre sortie ; Pierre s’est fait conduire jusqu’à la maison de notre chargé d’affaires qui demeure hors ville dans une mauvaise petite maison . Parvenu là le consul lui apprend que son passeport n’est pas en règle mais que ce n’est pas de notre faute et qu’alors il va lui en donner un autre en échange …..Pierre revient enchanté et nous partons .
Arrivés aux portes de la ville , on nous demande le susdit passeport et on trouve qu’il manque le visa des affaires étrangères Grand embarras, le chemin de fer allait partir et laissant partir le vaisseau nous étions obligés d’attendre trois jours de plus L’employé qui était une âme sensible fait jurer à Pierre qu’il avait bien payé son visa et lui signe sa sortie en l’assurant que nous le mettions dans le plus grand embarras…..A Livourne …. nouvelle chicanes ….. à la police …..on fut obligé d’expédier une dépêche télégraphique à Florence pour vérifier si Mr Boncompagni avait bien gardé le premier passeport . Pierre a été obligé de faire cinq voyages à la police avant que la dépêche fut envoyée , enfin elle arriva, mais il fallait encore aller prendre le passeport au gouvernement ; en passant Pierre va arrêter ses places au bureau du bateau , on les lui refuse jusqu’à ce que la femme de Monsieur soit inscrite …..pour toutes ces courses , il fallait parcourir presque toute la ville chaque fois ; nous avions bien une voiture mais le moment où le bateau devait partir approchait …..’
‘Bonne traversée ‘ Livourne 4 heures du soir, Civita Vecchia 7 heures du matin sur un bateau à vapeur d’une compagnie napolitaine , l’Ercole.
III) ROME , VILLE DU PAPE
1) De Civita Vecchia à Rome et de nouveaux ‘désagréments’.
‘A l’arrivée nous avons été consignés jusqu’à ce qu’il plut à la police de venir faire la visite sanitaire’. Irma
‘Ces messieurs de la police nous ont comptés jusqu’à trois fois comme des moutons en nous faisant défiler devant eux un à un ‘ C’est P ierre qui mentionne ‘les tarifs exorbitants des portefaix, les voitures et toute la population qui s’acharne sur les étrangers ….On ne peut se faire une idée de choses pareilles dans aucun autre pays civilisé’.
De Civita Vecchia à Rome , pour un trajet de neuf heures ‘nous sommes montés, écrit Pierre, dans des coches comme les voitures d’autrefois, les coucous de Montmélian, décorés du nom de diligence à trois chevaux conduits par un postillon ‘ ‘que l’on ne peut comparer qu’à des voitures de balloriens et qui sont si sales qu’on ose à peine y rentrer.’ Nous avons cependant choisi ce système de préférence aux voiturins parce que ceux –ci ne changeant pas de chevaux , le trajet dure plus longtemps et qu’on est obligé de voyager pendant la nuit ; cela ne m’aurait pas rassuré du tout vu que de l’avis de tout le monde les routes sont rien moins que sûres ; la preuve , c’est que notre diligence s’est jointe avec deux autres et qu’elles ne se sont jamais perdues de vue tout le long du chemin qui est dans un pays affreux ; on se croirait dans les déserts d’Afrique. On rencontre à peine une maison toutes les lieues et pas même une âme qui vive . On voit d’immenses campagnes que l’on ne cultive jamais et qui paraissent d’une aridité extraordinaire , on ne voit pas un brin d’herbe verte, presque jamais d’arbres, enfin on se croirait pour la végétation à la fin de l’hiver lorsque rien n’a encore poussé , cependant on dit que ce sont des terres qui rapportent immensément à leurs propriétaires sans qu’ils se donnent la peine de les cultiver jamais. La seule chose qui nous ait fait plaisir c’est de voir en quelques endroits les travaux d’un chemin de fer (de Rome à Civita Vecchia en 1 heure au lieu de neuf mortelles heures dans le plus abominable de tous les pays ‘)
‘Il n’y a pas un seul village dans toute la longueur du chemin, les relais de poste sont très éloignés les uns des autres . On change les chevaux dans les maisons de ferme isolées que l’on rencontre dans quatre endroits et puis on marche au pas la moitié du chemin et encore avec cela les postillons lèvent un impôt sur tous les voyageurs qui sont obligés de leur donner la bonne main à tous les relais . Ces paillards là font la quête et si on ne leur donne pas ou qu’on leur donne trop peu, ils vous insultent volontiers .’
‘Deux lieues avant Rome , la route traverse une quantité de collines et l’on ne cesse de monter et descendre continuellement , c’est un des avantages à ajouter à tous ceux que possède cet infâme pays. Même en arrivant aux portes de Rome , on n’aperçoit pas davantage
de traces de culture , seulement un berger pour les garder ou les faire rentrer le soir. Enfin toute la route est d’un triste désolant , je n’ai jamais parcouru un aussi vaste espace de terre aussi dépeuplé et aussi sauvage que celui-ci.’ Irma.
‘ La campagne de Rome ressemble à ces cadres noirs dont on environne les belles gravures ….. C’est labouré, les trois quart ressemblent fort à Iseley, plus quelques buissons , près des cours d’eau ; il y a de l’herbe en quantité . Dans ses parties les plus fécondes la campagne est divisée en pâturages par des palissades qui renferment des centaines de vaches magnifiques avec des cornes de près d’un mêtre…. Les animaux à demi sauvages….ont une prestance et un regard tellement fier qu’on dirait qu’elles portent l’âme du grand peuple car tous les fils des Romains ont des figures de fripons émérites.’
2) Première impression de Rome et logement .
‘A Rome nous sommes descendus à l’hôtel de la Minerve , c’est de tous les curés du monde, ce qui n’empêche pas que nous fussions à table hier au soir avec 4 ou 5 curés français on ne nous ait fait attendre trois quart d’heure un potage et des œufs punais que nous n’avons pu manger malgré notre faim …. Ce n’est qu’après minuit qu’il nous a été donné de pouvoir nous coucher pour tâcher de réparer tous nos malheurs qui finissent, dans de certains moments, par changer un voyage d’agrément en voyage de désagrément .’
‘Jusqu’à présent la vue de l’organisation des gouvernements d’Italie nous ont fait véritablement regretter notre gouvernement modèle piémontais ; c’est sans plaisanterie qu’on peut le dire en les comparant ensemble’. Irma
‘….Nous étions descendus dans un grand hôtel de Rome où nous avons été excessivement mal servis et dans lequel nous étions obligés de passer tous nos moments de loisir à la chasse aux puces ; c’est un animal qui est prodigieusement multiplié dans ce pays – ci et ce n’est pas étonnant car la ville est d’une saleté à faire horreur . Imagine-toi que leurs trois plus grandes rues n’approchent pas la propreté de notre Marché, ainsi juge des rues secondaires ; le matin surtout c’est à ne savoir où mettre les pieds Une chose aussi qui ne contribue pas à donner de la ville un air redressé, c’est les étendages de lessives qui sont accrochés à la plupart des fenêtres, mêmes dans les grandes rues ; le Capitole n’a pas été exempt non plus de servir à étendre des cordes de lessive’…..’ A Rome on trouve quelques milliers de chambres et d’appartements à louer ….’ Pour l’hiver surtout. ‘ Il règne dans toutes ces maisons une malpropreté dont rien n’approche, l’appartement est quelquefois bien meublé mais on y arrive par un fumier…. Notre appartement composé d’un superbe salon et d’une petite chambre à coucher est au premier vers le milieu de la rue del Corso, la plus fréquentée, la plus commerçante de la ville et de notre balcon en marbre nous voyons défiler tous les équipages qui se pressent dans cette belle rue . Le salon et la chambre parfaitement propres sont meublés avec somptuosité : un divan, deux canapés , statues, glaces, six fauteuils , armoire à glace et tout cela pour un prix inférieur à l’hôtel ‘Pierre.
Irma ajoute ‘ On nous fait seulement à déjeuner le matin…. Le domestique et la maîtresse de maison sont toujours à nos ordres et tiennent nos chambres propres ce qui est très rare ici car nous avons visité une quantité de logements avant d’en trouver qui ne fut pas un chenil.’
3) La visite de Saint Pierre
Avant de faire quelques visites à des personnes habitant Rome, le père Alphonse, le sculpteur Finet, Mr Métral, et au pensionnat du Sacré Cœur pour y voir Madame Angélique Levaudan, ils profitent du Dimanche 5 Septembre 1858 pour visiter des Eglises et en particulier Saint Pierre.
Irma est impressionnée par ‘ le grandiose de ce magnifique monument ‘. Il faut voir de près toutes ces colonnes pour se faire une idée de la grosseur énorme de leurs proportions et tout étant en rapport rien ne paraît extraordinaire en voyant l’ensemble, pas même la Confession de Saint Pierre qui a soixante pieds de haut et qui se trouve placée au milieu du dôme…. Mais quand on voit de près toutes ces magnificences c’est si grandiose qu’on est en admiration . Les chapelles latérales qui formeraient chacune une église très raisonnable sont garnies d’immenses tableaux en mosaîques qui sont copiées sur les tableaux des grands maîtres . Quand on pense à la patience fabuleuse qu’il a fallu pour réunir tous ces petits morceaux de pierres et en faire de grands ouvrages , on est vraiment effrayé .
4) Impressions sur la Rome Ancienne
‘ Ces deux derniers jours ont été employés à visiter scrupuleusement tout ce qui reste du forum des Anciens Romains qui est devenu le marché aux bestiaux . On a du regret en voyant ce qu’est devenu ce pays si habité et où l’on construirait des choses si solides et si grandioses . ’
‘ Nous avons vu le Colisée qui est peut–être moins bien conservé que celui de Nîmes mais plus grand ; on nous a fait monter sur une partie du Colisée qui a été rétablie dans son état primitif par Pie IX ......de là on peut voir tout l’ensemble de Rome et distinguer autant que possible ses collines qui à proprement parler ne peuvent pas trop porter ce nom pour la plupart (car la terre est descendue enfouissant les monuments qu’a exhumés Pie IX ) ‘ Pie IX est peut-être celui des papes qui s’est le plus donné de peine pour entretenir ou découvrir les anciens souvenirs de Rome ‘ Pierre
‘Ce qu’il y a vraiment d’imposant c’est la voie Sacrée … entre Palatin et Esquilin ….et là sur une longueur de plus d’un mille se pressaient les plus beaux monuments de Rome … le forum, la tribune aux harangues… hélas la promenade qui recouvre ces lieux célèbres est à 12 (sic) au- dessus du sol ancien…..les ruines qui existent sont dans des espaces déblayés à grands frais’ Pierre…
‘…La population de Rome doit être furieusement dégénérée de ce qu’elle était autrefois ; les hommes ne sont pas forts et grands comme en Toscane . Quant au beau sexe, on peut sans injustice lui supprimer l’adjectif ; nous n’avons pas vu une seule jolie femme…mais …ces dames se mettent avec beaucoup de goût ; elles n’ont pas la manie des choses voyantes comme toutes celles du reste de l’Italie ; au contraire elles ont des costumes très assortis et de très bon goût ; nous en jugeons particulièrement aujourd’hui que tout le monde est en habit de fête ; enfin l’ensemble des habitants de Rome n’a rien de particulier ; ils ont le teint des grandes villes , pâle et mat…’ Irma.
5) Une cérémonie pontificale
Mercredi 8 Septembre 1858. ‘Le Pape a tenu chapelle dans une petite église’…
Irma a vu le défilé de toutes les voitures du pape et de sa cour : ‘ Le pape était dans une voiture à six chevaux magnifiquement harnachée ; la voiture était vernissée en noir et toute garnie de dorures ; celle des cardinaux sont rouges très richement dorées aussi ; toutes les rues où le pape doit passer sont pavoisées ; à chaque fenêtre est tendu un drap rouge et le milieu de la rue où la voiture du pape passe est gravelée avec de la terre jaune sur laquelle sont semées des branches de buis … Les chevaux vont au pas et le pape donne sa bénédiction à tous ceux qui se trouvent présents. Ses laquais , ses postillons et son cocher sont habillés de damas rouge, galonné d’or et portent des culottes de peau de daim blanches avec des bottes à revers ; la gendarmerie à cheval qui porte le gros bonnet à poil dans les cérémonies , un escadron de cavalerie et la garde noble qui a un très beau costume, précédent le cortège ; les cardinaux ont trois laquais derrière leur voiture , les jours de cérémonie bien entendu ; les évêques et les grands dignitaires n’en ont que deux Il y a aussi la voiture du sénat qui a des domestiques avec une livrée toute particulière, bariolée de rouge et de jaune , dans le genre des Suisses de la garde du pape, du reste chaque cardinal a la livrée particulière à sa maison.’
‘… Dans l’église …chaleur atroce …Le pape qui était descendu dans la sacristie a fait son entrée dans l’église porté par douze hommes habillés de violet et rouge ; il a un air excessivement bon… de chaque côté de lui se tenaient deux hommes portant chacun un gros éventail de plumes blanches sur le bout desquelles sont collées des bouts de plume de paons.
En arrivant dans le chœur où était préparé un trône en damas blanc avec des tentures de damas rouge et jaune et de drap d’or , il est descendu du fauteuil gestatoire dans lequel on le porta et est monté sur le siège qui lui était préparé ; il portait une grande chape de damas blanc brodé d’or et une mitre toute simple en drap d’or ; comme les pantoufles qu’on rapporte de Constantinople.
‘Avant la messe a lieu le baisement de main par les cardinaux et le baisement de la mule par les évêques et les autres assistants, sénateurs et autres dignitaires , placés dans le chœur , ensuite les cardinaux se sont remis à leurs places sur deux lignes de bancs ; derrière ces bancs se trouvaient encore deux autres rangs où étaient placés les supérieurs d’ordres religieux …Devant le trône du pape étaient assis cinq sénateurs lui tournant le dos ; de l’autre côté à droite étaient assis sur la première marche du trône d’autres monsignori et devant le pape se tenait debout le cardinal maire du Palais qui était chargé de lever la mitre au pape, de lui présenter le grand missel à certaines parties de la messe et de diverses autres formalités …’
‘La messe était dite par un cardinal. Pendant la messe le pape était assis et il ne se leva qu’à l’épître, à l’évangile et depuis la communion jusqu’à la fin de la messe où il donne lui-même la bénédiction . Quand au moment de l’Elévation, il se lève et vient se mettre à genoux devant l’autel, après quoi il remonte sous le baldaquin ; au baiser de paix , le prêtre se présente devant le pape qui lui pose les deux mains sur les épaules en s’inclinant vers lui.’
‘L’Autel était très bien orné mais….. il était très peu illuminé ; je n’ai compté que douze flambeaux en tout, le devant du chœur et tout le reste de l’Eglise était tendu de draperies de velours rouge avec des franges d’or et damas rouge , de damas jaune et de draps d’or, retenues par des galons d’or ; c’était une décoration très riche .’
‘Après la messe, le Saint père s’est remis sur le grand fauteuil à porteurs. Nous avons admiré la précision avec laquelle ces hommes font l’enlèvement.... .’
6) Une audience du pape Pie IX
‘….Audience du pape obtenue par Mr Maitral…’. ‘Aujourd’hui 8 Septembre 5 heures...après rédaction d’une supplique ‘. ‘ On ne peut pas trop demander la dispense du maigre pour le samedi… Nous n’oublierons pas de demander la bénédiction pontificale par le curé (de Cognin) . Nous portons aussi deux crucifix pour faire bénir in articulo mortis dont un sera destiné à la famille de mon mari et l’autre que nous garderons . C’est le Saint père qui écrit lui-même jusqu’à quel degré de parenté il étend l’indulgence … Je porterai ma collection de chapelets et médailles (à faire bénir )’ ‘.. Le pape nous a reçus dans un grand salon ... Il était debout et est resté debout … Après nous avons demandé d’où nous étions, il nous a dit qu’il venait de recevoir une lettre d’un évêque de Savoie, Mgr Rendu d’Annecy, puis il nous a demandé pourquoi nous étions venus à Rome dans ce moment-ci qui était le plus mauvais ; … puis il a pris le papier que Pierre avait à la main … Il a lu très attentivement la supplique …. quand il est arrivé au curé de Cognin (demande d’altare privilegiatum)…. Après avoir hésité … il a signé… Audience … de 3 ou 4 minutes...’ Irma
7) Impression sur la Rome contemporaine
Rome ‘Une partie magique, enchanteresse’ celle des merveilles . Rome ‘Comme ville est d’une construction défectueuse, les rues sont étroites , malpropres, désertes , sans commerce et sans vie. On dit qu’elle dort maintenant et que l’hiver elle se réveille comme Aix , non pour danser mais pour courir les rues en voitures , se masquer et courir les églises pendant le Carême . ‘ Pierre 17 Septembre .
‘ Les romains ont de fort bons petits chevaux , très forts et très nerveux , que l’on ne ferre pas à cause des pavés sur lesquels ils ne pourraient pas tenir …. La ville étant toute en montée et en descente , ils ont déjà beaucoup de peine à retenir les voitures pour lesquelles on ne connaît pas encore le perfectionnement de la mécanique ….’ Irma
‘Ce qui gêne assez pour marcher ce sont les pavés qui sont à peu près aussi mauvais que les nôtres ; il n’y a presque point de trottoirs , ou quand il y en a ils sont pavés comme le reste de la rue et ne valent pas mieux, au lieu que dans les villes que nous avons déjà parcourues, toutes les rues avaient un dallage parfaitement fait .
Les grandes rues sont bien éclairées au gaz mais toutes les petites rues sont encore illuminées avec de petits réverbères à huile.En général, tout est en retard d’au moins 15 ou 20 ans dans ce pays’. Irma
‘ La ville est grande … si elle n’était pas mal bâtie , on parviendrait facilement à s’y retrouver car je ne la crois pas plus grand que Lyon . Seulement presque tous les quartiers sont de vrais dédales de petites rues sales et mal construites , faisant mille détours … Nous habitons la plus belle rue . C’est la promenade de tout le monde élégant et elle est très belle les jours de beau temps où tous les équipages et les belles dames de la ville peuvent sortir dans toute leur splendeur .’ Irma 17 août.
8) La malaria de Septembre et le ‘bon temps’ de Novembre.
Rome 11 Septembre . Irma à son père.
‘ Au commencement, nous nous trouvions fort bien d’avoir de temps en temps un petit vent frais pour tempérer la chaleur, mais on nous a appris que cette agréable bise était la malaria…
En effet ce vent fait baisser la température à un degré de fraîcheur extraordinaire, souvent au moment de la journée où il fait le plus chaud en sorte que si vous n’avez pas un châle ou un manteau à vous jeter sur les épaules, vous vous sentez saisis et le lendemain vous êtes pris par la fièvre , quand ce n’est pas une fluxion de poitrine ou une fièvre maligne qui a bientôt fait justice de vous . ’
‘’ Pour la ville … l’on conserve tout pour le mois de novembre qui est le ‘bon temps’ (par exemple bonne huile….) ‘ Les habitants sont si négligents qu’il ne se trouve pas de beaux fruits et qu’ils sont très chers : Une orange ordinaire coûte de 4 à 5 sous pièce , un citron 2 à 3 sous , une pêche 2 sous, les plus ordinaires ne sont jamais moins d’un sou…. On vit à très bon marché dans les restaurants ; nous n’avons pas encore vu les prix si bas dans aucune autre ville … Il parait qu’en hiver tout est à des prix fabuleux ; l’appartement dont nous avons deux chambres se loue alors 60 à 70 écus par mois ; il y a un certain temps, en carnaval et en carême où ceux qui veulent trouver un lit paient jusqu’à 20 ou 25 L. pour une nuit seulement et ainsi du reste… Il faut avouer que les puces ne sont pas tenaces en hiver comme en été et que les voyageurs sont alors plus tranquilles le jour et la nuit …. Vous voyez des ouvriers dans toutes les maisons , dans toutes les boutiques , dans tous les hôtels occupés à tout préparer pour la saison qui fait vivre les habitants de Rome. ’
9) Tourisme et pèlerinage
Nos deux voyageurs , qui ne se déplacent qu’en voiture , ont une curiosité insatiable ; ils s’efforcent de voir tous les monuments anciens et modernes .
Nous avons vu leur visite du Colisée, du forum, il y a celle de Via Appia , des catacombes. Au Vatican, Saint Pierre a retenu leur attention : ‘Je suis montée jusqu’à la boule du dôme de Saint Pierre. ’ et ils sont descendus dans les souterrains de la Confession de Saint Pierre, se sont intéressés au Moîse de Michel Ange et au Musée comme à la fabrique de mosaîques du Vatican et grâce à un bref du pape nécessaire, ont accédé à la relique de la vraie Croix . Citons encore Saint Paul . Hors les murs , l’Eglise des Capucins.
Ils sont attirés de toutes les reliques, même les moins authentiques : non seulement les reliques de la croix du Christ, mais aussi celle du bon larron, la colonne de la flagellation, les chaînes de St Pierre ( ‘ celles de Jérusalem et celles de Rome’ ) ‘ Il faut un bref du pape pour les laisser voir à des femmes ’, le doigt de St Thomas , le voile de la Sainte vierge, etc… Mais il leur fut impossible de voir l’église du Domine Quo Vadis ‘ où l’on voit encore les traces de pieds de notre seigneur à l’endroit ou il rencontra St Pierre .’ ! (Irma)
Mais d’autres spectacles les attirent aussi : ‘ Toute la ville est en mouvement aujourd’hui à l’occasion d’une loterie qui doit se tirer à la villa Borghèse et qui a été entreprise pour les pauvres, moitié par la ville , moitié par la princesse Borghèse ; le premier lot est de 50.000 francs ( Ils y vont, cohue) ‘ c’était très bien organisé et il y avait de très bonne musique’… Tous les romains qui ont de la fortune quittant Rome pour aller passer les vacances à la campagne , aussi il y a peu d’équipages et aussi moins de voyageurs cette année ’ ce sont surtout les Américains qui leur ont manqué .’
10) La maladie de Pierre et le retour à Chambéry
Pierre tombe malade et ceci amène un changement d’appartement ; on déménage au numéro 97 du Corso au 109, deuxième étage. A part les puces ‘ Hier , 80 de ces infortunées ont péri !’, tout est bien . ‘ On nous fournit tout le linge, l’argenterie, tout ce que nous avons besoin et un domestique qui restera pour nous servir ….’
Le nouvel appartement comporte une petite cuisine . ‘ Un café fournit déjeuner et journaux … Je me fais apporter mon dîner ici… Quant aux bouillons, riz, tisanes ou cataplasmes de farine de lin pour Pierre , notre hôtesse nous les a fait jusqu’à présent . ’
‘Finalement, sur les conseils du père Alphonse, une purgation à base de poudre de coussou abyssin permet d’éliminer un ver solitaire de 18 mètres de long ! .’
Mais la décision est prise de repartir sans aller à Naples ( 24 heures en diligence, 4 jours en voiturin) et Pierre, convalescent, peut encore visiter le couvent de Saint Ornulphe où M. Le Tasse écrivit et Frascati . ‘ On peut y aller par un chemin de fer, le seul qui soit dans les états du pape, et qui traverse d’immenses plaines toutes parsemées de ruines et d’anciens aqueducs qui font un effet magnifique dans ces prairies à perte de vue ou l’on ne voit pas un arbre et pas une maison habitée . Nous avons passé 6 heures à Frascati par un assez beau temps ce qui nous a permis d’aller visiter les ruines de Tusculum et plusieurs villes des princes Romains ; nous avons même eu de la chance d’assister à une course de chevaux à Frascati’ . Irma .
Du voyage du retour, nous ne connaissons que le projet d’embarquer à Civita Vecchia le samedi 2 Octobre et d’arriver à Gènes lundi soir après une escale à Livourne, et ensuite le train sauf pour le Cenis.
UN HEUREUX RETOUR EN ITALIE 1866
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En 1858 , la maladie de Pierre avait empêché nos voyageurs de gagner Naples . En 1866 les débuts d’un réseau ferré italien leur permettent de réaliser ce rêve sans grande fatigue et de passer la Semaine Sainte à Rome avec quatre amis ou parents .
I ) MARCHE SUR ROME ET SES ETAPES
A Turin, ‘ deux jours pendant lesquels nous avons pu nous convaincre du prodigieux agrandissement et embellissement de cette ville où Pierre ne se reconnaissait plus du tout .
C’est bien dommage que ce ne soit plus la capitale de l’Italie . Florence aura peine à se mettre au niveau .’
Un jour à Parme ‘ou il y a de beaux musées et de belles églises à voir ; quant à elle, quoique ancienne capitale, elle a l’air bien provinciale’. Un arrêt à Bologne , ‘ Toutes les rues ont des portiques, il y en a même un qui a jusqu’à un kilomètre hors ville pour conduire à un pèlerinage’.
Le pays depuis Turin est d’une richesse extraordinaire, tout a l’air d’y venir comme par enchantement, ce sont des plaines immenses bordées de montagnes des Apennins qui brisent la monotonie des plaines ....semées de blé et plantées de mûriers sur lesquels vont grimper la vigne, par parenthèse le vin est affreusement mauvais .’ Irma 23 Mars .
II) DURANT LA SEMAINE SAINTE , VUE PAR PIERRE.
….Rome ressemble à une fourmillière et les boulevards de Paris donnent une idée de l’aspect de plusieurs rues, à cette différence cependant c’est qu’à Paris les boulevards sont immenses et ici les rues étroites exposent les malheureux à être écrasés à chaque instant ; mais rassurez-vous nous usons rarement de nos jambes….
La première journée a été employée à porter nos lettres et à chercher des billete . ‘Il faut des billete pour tout ….’
‘Après une vue rapide des principaux monuments , à Saint Pierre a lieu l’installation dans un appartement au 4 ème étage – 120 marches’.
Jeudi (Saint) ‘ La journée était consacrée aux cérémonies de la Semaine Sainte . Viennent plus de 80.000 étrangers tous parfaitement dispos, tous arrivés ici pour voir les cérémonies et prêts à tout pour ne pas manquer le but de leur voyage . A cela ajoutez une très grande partie de la population de Rome avide de contempler encore ces fêtes célébrées et vous aurez une idée de la foule qui accourt à Saint Pierre, se précipite partout de tous côtés . Au moins si les cérémonies se faisaient dans Saint Pierre, St Pierre est comme notre champ de Mars …..
Il y aurait de la place à peu près pour tous, mais non ! La messe ce Jeudi saint se dit dans la Chapelle Sixtine, de là le pape porte le Saint Sacrement dans la Chapelle Pauline séparée et mise en communication avec l’autre par la salle royale qui est une immense et splendide antichambre de palais . Après ces cérémonies, le pape va dans la loge vaticane qui ouvre aussi sur cette salle ; au milieu de cette loge se trouve le balcon. Il donne sa bénédiction urbi et orbi . De là il rentre dans la salle royale toujours porté sur la sedia gastatoria par huit individus et descend dans une chapelle de Saint Pierre pour le lavement des pieds, puis enfin remonta dans la loge vaticane qui est profonde comme cinq fois notre ancienne salle des concerts et à la forme d’un écrin. C’est là qu’à lieu la scène.
De toutes ces cérémonies la plus curieuse était la dernière, aussi nous étions en course à huit heures du matin pour avoir avec nos billete une place à cette fonction comme l’appellent les Italiens qui devait avoir lieu à une heure.
Nous avions des billete de deux couleurs pour les deux cotés de la loge qui est divisée en deux par une balustrade. La tante , l’oncle et Alice ont voulu rester là . Monsieur et Madame Lachaire et Mademoiselle Gruat dans la salle royale, une entrée Nord de la loge . Joseph , Irma et moi étaient descendus dans Saint Pierre pour entrer par la montée du coté sud. Après avoir attendu une heure à errer dans Saint Pierre que la porte de l’escalier du Dôme fut ouverte, nous allions retourner dans la salle royale lorsqu’on nous a permis de monter enfin dans la loge.
Il y avait encore peu de monde, Irma a pu seulement prendre une bonne place assise. Joseph et moi avons pu circuler, voir en détail la table des apôtres, les plats qui leur étaient servis. De l’autre coté, la position était moins bonne ; après avoir attendu plus longtemps que nous les portes qui donnent sur la salle royale se sont ouvertes et la foule qui remplissait cette salle vint se précipiter sans billete dans le compartiment nord de la loge beaucoup plus petite de la salle si bien qu’il y a eu là une cohue indescriptible : plusieurs personnes ont pris mal . Nous assistions à ce spectacle de l’autre côté avec une grande anxiété ; heureusement l’oncle avait défendu tout le monde et ils en ont été quitte pour une bousculade que venait encore augmenter la brutalité des Suisses, véritables oursons des Alpes qui donnent des coups de hallebardes comme des chiquenottes .
Ce qu’il y a de plus fâcheux, c’est qu’après cette épreuve ils n’ont pu assister à la scène, s’étant retirés par prudence.
Pendant cette cohue, nous étions de l’autre côté tout à fait au large et avec les meilleures positions. Joseph et moi avions pris les premières places et étions à un mètre de la table .
A midi et demi arrivèrent treize compères d’un air un peu godichon habillés d’une grande robe en laine blanche et coiffés d’un chapeau comme un tuyau de deux pieds de haut . Ils portaient de l’air le plus cocasse un bouquet de violettes à la main . Ils se rangent en ligne devant la table placée sur une estrade et attendent ainsi sans mouvement pendant près d’une demi heure. Alors arrivent les cardinaux, les évêques, les gardes nobles, les sénateurs, les familiers du Saint père ( Aides de camp ) qui se rangent dans le fond de la loge contre les murs puis le Saint pêre en habit blanc . Il récite à haute voix l’oraison, bénit la table, y prend une serviette soit un tablier qu’il s’attache lui-même très résolument autour du corps . Il se place résolument sur le devant de la table de, là ou sont les apôtres, il tient une aiguière d’or à la main, un prélat soutien à genoux un plat d’argent et un familier fait défiler chacun des douze apôtres devant lui. Il leur verse de l’eau sur les mains , un autre familier leur présente un essuie main et ils vont se ranger à leur place tous sur un seul côté comme dans la scène. Tout comme font nos capucins.
Après cela une file d’évêques s’approche successivement du Saint Père qui est resté sur le côté vide de la table et lui présente à genoux un plat qu’il sert à chacun des apôtres . Ce premier plat était une friture que je n’ai pas bien pu deviner, ensuite le Saint Père qui en servant, est allé jusqu’au fond de la table, remonte en donnant à boire de l’eau et du vin noir à chacun des convives apostoliques.
Arrivé au deuxième met la même cérémonie recommence, les prélats apportent à genoux chacun deux poissons frits que le pape sert à l’apôtre qui se lève. Puis il remonte encore la table en servant de l’eau et du vin blanc ; après cela c’était un plat d’épinards en forme de lit roulé flanqué chacun de quatre écrevisses. Mais le Saint Père en avait assez, il s’est retiré .
Après cela, le repas a marché vigoureusement et dans moins de cinq minutes tout était fini.
Le Saint Père s’est acquitté de son service de la meilleure grâce ; il a toujours sa figure douce, bonne et fine, il souriait gracieusement lorsqu’un apôtre faisait quelque gaucherie, mais à part cette bonne figure, le reste est une véritable représentation.
Le soir, la tante, l’oncle, Irma et moi nous somme allé entendre le miserer munis de billete . Nous n’avons pas cherché à entrer dans la Chapelle Sixtine ; nous somme restés dans la salle royale, de là nous avons entendu asses bien et nous avons déclaré que nous en avions assez comme cela des cérémonies religieuses jusqu’à Pâques. La messe se dit alors dans Saint Pierre.
III) LE PITTORESQUE TRAJET ROME-NAPLES AVRIL 1866
Celui çi est décrit par Irma
Départ de Rome sous la pluie -7 heures de train. ‘ La campagne Romaine… C’est le désert et les ruines ‘ . ‘ Mais depuis Albano jusqu’à Vellettri, les fièvres ne régnant pas, tout est cultivé et d’une grande richesse de végétation. Depuis là, on parcourt des vallées dans les Apennins qui sont de fort laides montagnes aussi petites que possible , mais là bas, des collines et des plaines sont cultivées et dominées par des villes ou des bourgs placés sur des sommets de montagne comme les chateaux au bord du Rhin… Presque rien n’est plus avancé que chez nous sauf le jardinage et les fleurs qui sont en abondance et que l’on vend presque pour rien…. Toute la fausse verdure des jardins de Rome est due aux chênes verts qui ne défeuillent jamais ….’
‘Cependant nous avons trouvé une différence marquée pour le Climat depuis Capua, les peupliers sont feuillus, tous les cerisiers en fleur et les blés en épi …’
‘Ce qui m’a ravi en venant ici , ce sont les costumes nationaux que les habitants de ce pays primitif conservent encore ; nous avions déjà vu à Rome, le jour de Pâques, des costumes de tous les environs et tout le long du chemin, nous avons vu dans les champs les paysans avec leurs jolis costumes que l’on voit souvent en gravure : corsage de couleur vive tranchant sur une jupe d’une autre nuance, le tablier rayé en travers, en rouge, blanc ou bleu et le mouchoir blanc posé en carré sur la tête, c’est très joli lorsque c’est propre, ce qui n’arrive pas souvent. Pour les hommes lorsqu’ils se reposent, ce qui au contraire est très fréquent, ils se drapent dans leurs manteaux d’une façon très majestueuse et très naturelle. Les gamins qui gardent les moutons sont drapés aussi dans leurs manteaux, avec le chapeau pointu sur la tête, ils ont l’air de charmants birbants très jolis à voir dans le paysage.
Le chemin de fer a du porter un grand préjudice aux brigands de ces contrées qui sont les plus réputés pour leurs hauts faits ; pour le moment, ils semblent travailler leurs champs avec assez de courage en attendant de meilleurs temps ; ils portent pour costume le gilet rouge, la veste, la culotte courte et pour bas des bandes de toile retenues par le cothurne antique, formé par un morceau de cuir carré, attaché aux pieds par des bandelettes de cuir qui remontent en se croisant jusqu’au genou . Ils ont des poses qui leur sont très naturelles et qui semblent vraiment prises pour le plaisir de les faire admirer aux étrangers.’
IV) IMPRESSION D’IRMA SUR NAPLES 6 AVRIL 1866.
‘ Ce soir à Naples le temps est très doux, nous venons de faire une petite promenade sur des chemins dans la rue de Chiaga et de Tolède qui sont les boulevards de Naples : nous avons été aveuglés par la poussière que le vent nous jetait dans les yeux …
Des amis de Joseph …nous ont amené prendre des glaces dont on trouve ici une variété inconnue ailleurs et d’une grosseur interminable … La ville est très belle, toutes les maisons sont sans toit comme les maisons d’Algérie avec une terrasse…A ma grande désolation , le Vésuve ne fume même pas …’
‘Nous avons visité l’église de Saint Janvier qui n’a rien de fort remarquable sauf son trèsor que bien des gens voudraient faire fondre, mais nous n’avons pas encore vu la fameuse fiole de sang de Saint Janvier que l’on ne sort que les jours de grande fête et au jour du miracle qui se fait deux fois par an au mois de Mai et de Septembre’….- Excursion a des points de vue sur Naples, au Pausilippe ‘ Nous sommes toujours en voiture … les chevaux marchent comme le vent sur des pavés plats en lave qui les font glisser . Quand ils tombent, ils se ramassent et continuent leurs chemins sans autre inquiétude .’
En P.S. ‘ Je ne clos pas ma lettre sans te dire un mot d’un délicieux spectacle que nous avons vu hier dans un théâtre. On jouait donc du Bucefalo , charmant opéra dans lequel le principal Rôle est joué par un acteur accompli sur tous les points : voix magnifique, jeux comiques de bon goût et pianiste et violoniste de première force ; il joue des scènes presque entières à lui tout seul Aussi comme il faut un artiste de premier mérite pour jouer un rôle pareil, cet opéra est très rarement exécuté ; il a joué (c’était compris dans son rôle) des morceaux de violon et de piano d’une grande » difficulté qui nous ont fait à tous un immense plaisir . On entend rarement un aussi bon spectacle et cependant ( ce n’était pas le premier théâtre de Naples ; nous verrons ce que sera le Saint Carlo ou nous ne sommes pas encore allés…’
V ) UNE PITTORESQUE ASCENSION DU VESUVE
De Pierre Goybet (Lettre à son père)
Excursion de 5 heures en bateau pour visiter la grotte d’azur avec repas en pleine mer . Des visites : Pompei, Sorrente, le lac d’Arvenne, la grotte du chien, l’arbre de la Sibylle , Pouzzoles, temps splendide, végétation pas très avancée. Les chemins sont mauvais jusqu’au pied du col ou pain de sucre , puis de là il faut monter par une pente comme un toit. Irma s’en est tirée bravement comme vous allez en juger.
Partis à 6 heures du matin, nous étions à 8 heures à Resina . Là on quitta la voiture
Pour prendre des chevaux. Irma avait une excellente monture . Race petite mais très nerveuse, d’une sûreté et d’une solidité à toute épreuve. Ils monteraient par une ruelle si on les dressait un peu . Avant 1861, il y avait une grande et belle route qui faisait les ¾ du chemin mais les laves de 1861 ont comblé la vallée ou elle passe .
C’est chose effrayante que ce pays couvert de scories. Vous avez vu le fourneau de Randens, les scories qui en sortent ; imaginez des coulées couvrant une surface large comme la vallée de Vimines sur 8 à 10 mètres de profondeur . Cette lave reste de deux à trois mois avant de se refroidir. Dans cette masse, il y a des gaz qui s’échappent en produisant des gonflements
comme une caverne sur des crevasses d’un mètre de large sur deux de profondeur . Ce pays tout noir, tourmenté, crevassé, couvert de scories qui prennent les formes les plus bizarres fait peur à voir.
Après une promenade de deux heures sur ce terrain ou on a tracé des petits sentiers, on arrive au bas du cône. Là on laisse les chevaux qui sont remplacés par des hommes qui transportent dans des chaises à porteur ou tirent pas des courroies les voyageurs moins paresseux Ma femme n’a pas hésité, elle a pris son courage à deux mains et elle est montée dans une chaise à porteurs. Les robustes gaillards qui s’étaient disputé l’honneur de la hisser – car chaque porteur ne peut arriver qu’à son tour- l’ont enlevée et nous nous sommes mis en route . Il y a quatre pause ordinaires pour l’ascension. Ces pauvres diables ont compris que ce ne serait pas de trop , enfin au bout d’une demi heure, tout harassés, ruisselant de sueur, ils sont arrivés au sommet.
Le sommet ressemble à une coupe ; les bords ont 8 à 10 mètres et le milieu est un creux de quinze à vingt mètres de profondeur sur un kilomètre de circonférence. C’est là le cratère.
Au milieu de cette immense trouée toute couverte de lave encore brûlante et d’où s’échappent des fusées de vapeur sulfureuse, s’élève un petit cône de 3 mètres de haut sur 5 à 6 de circonférence . Ce cône c’est le fourneau du volcan. Ce grand personnage nous a fort bien traité et nous a donné le spectacle en miniature d’une éruption .
Avant d’arriver au sommet de la montagne, nous entendions des sifflements comme ceux de 8 à 10 locomotives réunies puis des détonations comme d’un parc d’artillerie ; le Vésuve éternuait .
Ce cône du milieu était formé depuis 4 ou 5 jours seulement ; le cratère précédent était éteint Cette nouvelle bouche du cratère était recouverte d’un énorme couvercle de lave et tout autour s’échappaient des flammes de soufre puis des scories avec un bruit infernal et de temps à autre toute les cinq à six minutes il y avait une explosion, le couvercle était violemment soulevé par une explosion formidable qui lançait de huit à dix mètres à la ronde une pluie de pierres et de lave en feu.
Mon guide était un vieux damné qui connaissait le volcan comme un marin connaît la mer . Il m’a proposé de descendre dans le cratère ; je m’y suis laissé glisser, nous sommes allés près du cône. Pendant que nous étions là est venue une explosion, les pierres ont passé sur nos têtes, la lave tombait à nos pieds sans nous atteindre ; j’étais peu rassuré au milieu de cet enfer, sur ce sol brûlant et rempli de fumée, aussi je ne me suis pas fait prier pour remonter ; il fallait grimper en s’accrochant au roc qui était tout brûlant , mais le guide était un vieux diable qui riait de tout cela et qui m’a aidé à sortir de ce trou infernal .
Notre descente à eu lieu sans accident aucun ; Irma a repris l’usage de ses jambes et grâce aux chevaux qui nous attendaient au pied du grand cône, nous n’avons point été trop fatigués.
VI) UN RETOUR RAPIDE :
Retour par Rome et Civita Vecchia (recherche d’une malle égarée).
Voyage au plus court vers Florence à l’intérieur d’une diligence ‘ ou nous avons été très mal ; arrivés à la frontière pontificale, le passeport de l’oncle qui avait déjà été visé et revisé a été pris en défaut pour une dernière formalité négligée à Civita, de sorte que l’on a été obligé d’employer la bonne main pour attendrir le douanier qui a été immédiatement désarmé et nous a laissé continuer notre route .’ Irma Dimanche 16 Avril 1866.
Il est probable que la diligence ne les a conduit que de Civita à la gare de Nunziatella à 194 Kilomètres de Livourne .
Retour rapide par express. Florence 10 Heures du soir -Turin 10 heures du matin par Bologne, modène, Parme et Plaisance , Alexandrie et Asti – Le Cenis en diligence et la Maurienne en train.
Ainsi s’achève un double voyage en Italie fort instructif pour nous ; peut être trouvera t’ on maints détails oiseux mais il constituent par leur authenticité, leur spontanéité à nous faire mieux connaître une Italie en formation et qui depuis a beaucoup évolué .